Opéras Skate, Mensonges et Vidéos à Rouen
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Skate, Mensonges et Vidéos à Rouen

23/03/2023
© Marion Kerno

Théâtre des Arts, 10 mars

En montant Serse (Londres, 1738), l’Opéra de Rouen Normandie affichait deux ambitions : familiariser l’Orchestre avec la musique baroque ; et amener un large public à un répertoire réputé élitiste, grâce à une mise en scène résolument contemporaine. Vu le triomphe aux saluts, devant des spectateurs nombreux, où l’on notait une proportion notable de jeunes, le second objectif a été pleinement atteint.

Il faut dire que les réalisateurs français Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, qui signent aussi les décors (un gigantesque skatepark) et les costumes (du streetwear chic), ont mis le paquet, en situant l’action dans la communauté des skaters. Ils ont recruté quelques jeunes Rouennais pour réaliser (en direct ou en vidéo) des numéros virtuoses – les chanteurs sont bien moins sollicités sur ce plan –, et leur donner la parole pour des micros-trottoirs, plutôt longuets, diffusés sur grand écran, avant chaque début d’acte.

Les intrigues de cœur, qui occupent l’essentiel du livret, acquièrent une fraîcheur inédite à être vécues par des ados, la projection de quelques slogans forts (« I Love Skateboarding », « Keep Calm and Try Again », « We Are Family ») ponctuant leurs avancées amoureuses. Un amusant traitement façon sitcom, même si la gestuelle peine à se hisser à la hauteur de la complexité psychologique de la musique.

Avouons, aussi, avoir du mal à comprendre quelle peut être l’autorité de Serse sur cette communauté (où sa supériorité sur la planche est loin d’être manifeste !), d’autant que les surtitres, très modernisés et adaptés, évitent prudemment toute référence à sa royauté. C’est lui qui pâtit le plus de la transposition, car elle évacue complètement sa part de folie, pourtant sensible dans sa déclaration d’amour à un platane, comme dans l’épisode du pont construit sur la mer. Précisons, au passage, que celui-ci est coupé, comme maints récitatifs, plusieurs da capo et tous les chœurs.

Notons, quand même, deux jolies trouvailles visuelles : quand les skates disposés autour d’Arsamene, désespéré d’être séparé de Romilda, dessinent un cercueil imaginaire, puis forment l’arche sous laquelle passent, à la fin, les nouveaux époux.

S’agissant du premier objectif, la réussite est moins évidente. Nul doute que, sous la direction énergique du chef britannique David Bates, assis à l’un des deux clavecins, l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie ait pris un certain plaisir à découvrir Haendel, voire ait progressé. Mais jouer sur des cordes en boyaux, s’adjoindre une trompette naturelle, un basson baroque et un théorbe – ici hors de propos – s’avère anecdotique, lorsque fait défaut un vrai travail sur le phrasé et la rhétorique musicale. Les morceaux filent trop souvent droit et fort, sans réelle caractérisation, ni développement dramaturgique à l’intérieur d’un air.

Par ailleurs, le diapason moderne ne facilite pas la tâche aux chanteurs, pourtant tous rompus au style haendélien. Les dames sont celles qui s’en accommodent le mieux. Ainsi, la soprano norvégienne Mari Eriksmoen dessine une ravissante Romilda, à la voix fine et bien conduite, aux pianissimi exquis, tour à tour virtuose, charmeuse et touchante dans ses accès de désespoir

Atalanta, sa peste de sœur, profite de la voix charnue et sonore de la soprano franco-belge Sophie Junker, que n’effraie aucun suraigu. Moins gâtée par la partition, l’Italienne Cecilia Molinari gratifie Amastre de son mezzo vigoureux et de sa belle présence.

La situation est plus compliquée du côté des deux contre-ténors. Même entièrement transposé, Arsamene ne convient guère à l’alto délicat du Polonais Jakub Jozef Orlinski, avec plus d’un aigu crié, un cantabile encombré de maniérismes dans les airs lents, et une justesse souvent problématique. Son physique, sa désinvolture en scène – il esquisse avec grâce quelques figures de breakdance, de BMX, voire de skate – et, disons-le sans détours, son statut médiatique suffisent, néanmoins, à lui assurer un triomphe.

Dans le rôle autrement périlleux de Serse, le Britannique Jake Arditti ne démérite pas, affrontant, avec une technique habile – sinon souveraine – et beaucoup d’énergie, une partie destinée au gosier surnaturel du castrat Caffarelli. Le legato est sans faille dans « Ombra mai fu » (malgré de bruyantes démonstrations de skate en fond), mais l’instrument sonne plus éprouvé dans la bravoure de « Se bramate d’amar », avec un aigu sous tension et un grave parfois sourd. Le flamboyant « Crude furie » le trouve plus à son affaire, traduisant bien le caractère névrotique du personnage.

Grand habitué d’Ariodate, Luigi De Donato semble un peu gêné par le diapason dans son premier air, tout en étonnant par une cadence abyssale jusqu’au ré grave. Pour autant, la rondeur de l’instrument et la bonhomie de l’incarnation convainquent pleinement, d’autant que « Del ciel d’amore » trouve la basse italienne parfaitement à l’aise.

Truculent Elviro, son compatriote Riccardo Novaro, au baryton mordant, complète ce plateau de qualité, qui s’amuse manifestement beaucoup dans cette mise en scène. Reste à voir si les jeunes attirés par le skate reviendront, un jour, assister à un opéra…

THIERRY GUYENNE


© Marion Kerno

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