Opéras Santa Fe à l’heure de la création
Opéras

Santa Fe à l’heure de la création

12/09/2022
Mark Stone et Kangmin Justin Kim dans M. Butterfly. © Santa Fe Opera/Curtis Brown

Crosby Theatre, 18 août

En ses 66 ans d’existence, le Santa Fe Opera a proposé pas moins de dix-huit premières mondiales d’ouvrages lyriques. Tous n’ont pas fait carrière ensuite, mais on serait tenté de prédire un bel avenir à M. Butterfly, le nouvel opéra d’Huang Ruo (né en 1976), musicien chinois installé aux États-Unis, dont la création a constitué l’un des temps forts de cette édition 2022.

Pour l’occasion, le dramaturge américain David Henry Hwang a adapté en livret sa pièce éponyme (créée en 1988, puis révisée en 2017), comme il l’avait transformée auparavant en scénario, pour le film de David Cronenberg, avec Jeremy Irons et John Lone (1993). Pièce, elle-même, inspirée d’une histoire vraie : le scandale soulevé, en 1983, par la révélation des activités d’espionnage d’un diplomate français, au bénéfice des services de renseignement de Pékin, au fil d’une liaison de vingt ans avec un chanteur spécialisé dans les rôles féminins de l’opéra chinois, qu’il croyait être une femme et qui l’a manipulé.

L’opéra est complexe, compositeur et librettiste brassant de nombreux thèmes (dualité des genres, des nationalités…), en y ajoutant une réflexion sur l’empreinte culturelle laissée par Madama Butterfly, pendant les cent dix-huit années qui se sont écoulées depuis sa naissance, en 1904, à la Scala de Milan. Et le résultat se révèle globalement fascinant, même si, dans la perspective d’une reprise, il ne sera pas inutile de retravailler certaines des références explicites au chef-d’œuvre de Puccini.

Par rapport à la pièce originale, David Henry Hwang a expliqué comment l’évolution des mentalités, depuis 1988, l’avait conduit à réduire l’importance accordée à la révélation du sexe véritable de la maîtresse du diplomate, pour se concentrer sur la manière dont celle/celui-ci tente de survivre à la Révolution culturelle. On salue, également, l’ajout, vers la fin de l’ouvrage, d’un solo à son intention, qui jette un regard plus nuancé sur son personnage.

Reste le problème du dénouement, évidemment inspiré de Madama Butterfly : le diplomate, dans la prison où il est enfermé, enfile kimono et perruque, se maquille comme une geisha, et se suicide. Quand j’avais vu la pièce à Broadway, bien qu’ébloui par les performances des acteurs (différents de ceux du film), j’avais déjà regretté son côté « Grand-Guignol ». Il m’a encore plus gêné dans l’opéra. À titre personnel, ce final m’a paru aussi gratuit qu’interminable.

Alors que le diplomate français n’avait que 20 ans, lors de son arrivée en Chine, en 1964, son alter ego dans la pièce et l’opéra, baptisé René Gallimard, tourne autour de la quarantaine. Jadis Guglielmo (Cosi fan tutte), aujourd’hui Alberich (Der Ring des Nibelungen), Mark Stone joue avec beaucoup d’intensité, tout en déployant, dans son chant, un beau sens des nuances et du phrasé. La voix, malheureusement, tend à bouger sur les longues tenues. Le baryton britannique était-il souffrant, ce 18 août ? Il a, en tout cas, été remplacé par Erik Grendahl, dès la représentation suivante.

Le triomphe de la soirée revient à Kangmin Justin Kim, d’une crédibilité absolue en Song Liling, celui/celle par qui le scandale arrive. Physiquement, d’abord, mais aussi vocalement, en particulier dans les sections lentes et legato, splendidement conduites, et dans « Un bel di vedremo ». Le contre-ténor coréo-américain semble moins à l’aise dans les passages de dialogue rapide ; par chance, la partition lui en réclame très peu – preuve que le compositeur a tenu compte des points forts et faibles de son interprète.

Dans l’éventail des petits rôles, on distinguera la mezzo-soprano chinoise Hongni Wu, à la voix fraîche et au sens théâtral affûté, dans sa double incarnation : la Camarade Chin (superviseuse du Parti) et Shu Fung (domestique de Song Liling).

Les chœurs du Festival sont sans reproche et Carolyn Kuan, dirigeant une partition extrêmement complexe – globalement, la musique d’Huang Ruo est plus variée et émouvante dans l’écriture vocale qu’orchestrale –, confirme ses affinités avec le répertoire contemporain.

La mise en scène de James Robinson est excellente. Les décors d’Allen Moyer sont ingénieux, et très évocateurs. Les costumes de James Schuette évoquent, à la perfection, les deux périodes évoquées dans le livret (le milieu des années 1960 et celui des années 1980). Greg Emetaz, enfin, est un expert dans l’art des projections.

Accueil chaleureux du public pour cet opéra qui devrait maintenant tourner dans d’autres théâtres, dans la même production, moyennant, on l’espère, les quelques révisions nécessaires.

DAVID SHENGOLD


Mark Stone et Kangmin Justin Kim dans M. Butterfly. © Santa Fe Opera/Curtis Brown

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