Teatro del Maggio, 13 avril
Au Maggio Musicale Fiorentino, Emma Dante secoue les fondations du mythe. Sa Salome, transposée du Proche-Orient antique au Royaume des Deux-Siciles, abandonne la décadence fin-de-siècle pour s’ancrer dans une tradition populaire et baroque, saturée de symboles et d’excès. La metteuse en scène sicilienne puise dans son imaginaire familier – celui des contes de Basile, des Pupi siciliens et des farces grotesques – pour réinventer la partition de Strauss. Ici, Herodes n’est plus un tyran délirant mais un souverain grotesque, Herodias une caricature lascive, et les soldats de palace deviennent des marionnettes d’apparat, bardées d’armures en céramique.
Au centre du décor conçu par Carmine Maringola, la prison du prophète Jochanaan prend la forme de l’Orcus des jardins de Bomarzo, gueule de pierre béante d’où surgissent des femmes possédées, furies blêmes qui s’échappent à chaque libération du prophète. Dans cette Judée réinventée, le sacré flirte avec l’absurde, et l’érotisme avec la violence rituelle. Pas de sensualité langoureuse ici : Emma Dante vide la pièce de son climat décadent pour imposer son propre théâtre, plus tribal que symboliste. Jochanaan, hérissé de mèches interminables utilisées comme cordes, évoque un prophète cavernicole. C’est aussi une chevelure démesurée qui viendra étrangler Salome à la fin, dans un geste lourd de fatalité. Ce choix radical recentre l’attention sur l’orchestre, seul garant de la somptuosité straussienne.
À la baguette, le Britannique Alexander Soddy, familier de l’œuvre depuis deux décennies, offre une lecture fluide, nerveuse, lumineuse. Les textures orchestrales, riches et ciselées, enveloppent sans étouffer. Sauf lors de la Danse des sept voiles – moment de déchaînement permis, voire attendu –, il laisse les voix s’élever librement. La distribution vocale est à la hauteur : Nikolai Schukoff impose un Herodes puissant et brillant ; Anna Maria Chiuri campe une Herodias volontairement triviale ; Brian Mulligan incarne un Jochanaan inattendu, presque doux malgré son apparence sauvage. En Salome, Lidia Fridman s’impose avec autorité. Timbre dense, homogénéité remarquable, grave solide, aigus charpentés : sa voix allie puissance et subtilité. Son interprétation de la danse incarne une sensualité retenue, presque sacrée.
Un spectacle âpre, troublant, qui déconcerte autant qu’il fascine. Emma Dante bouscule la légende avec ses codes, ses outrances, sa vision organique du théâtre. Une Salome qui, loin des ors de Vienne, vient puiser dans les mystères du Sud italien.
GREGORIO MOPPI