Opéra-Théâtre, 4 juin
Il n’est pas facile de mettre en scène Rusalka à la lettre, avec son lac nimbé de brume, au clair de lune, et ses créatures fantastiques, tout en ne négligeant pas ses arrière-plans psychanalytiques de conte de fées sombre. D’où la tentation de relectures plus ou moins radicales, parfois brillantes (Stefan Herheim, à Bruxelles, Martin Kusej, à Munich), parfois discutables (Jossi Wieler et Sergio Morabito, à Salzbourg, Nicola Raab, à Strasbourg), mais qui, même dans leurs meilleurs moments, restent des travestissements d’un ouvrage dont la simplicité naïve demeure l’un des véritables charmes.
Pour cette nouvelle production de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz, en coopération avec les Opéras de Reims et de Massy, le metteur en scène belge Paul-Émile Fourny a préféré miser sur une mise en images avant tout esthétique, en espérant que le reste se mette en place simplement, en laissant fonctionner, le plus naturellement possible, les rouages de l’histoire. Et c’est exactement ce qui se passe, parce que tous ses collaborateurs l’assistent dans sa démarche avec un goût parfait, voire se surpassent.
Ambiance générale très « Art nouveau » (l’opéra ayant été créé à Prague, en 1901, la coïncidence d’époque est féconde), avec, pour principale référence, le Casino de Constanta, en Roumanie, lieu de villégiature élégant en été, mais soumis à des températures parfois glaciales en hiver. L’acte II se déroule à l’intérieur, mais on retrouve un modèle réduit du même bâtiment, en fond de scène, aux actes I et III, devant un étang dont on devine la surface, a priori gelée.
Le fil conducteur est bon. Surtout, autant la décoratrice Emmanuelle Favre que l’éclairagiste Patrick Méeüs, voire Julien Soulier, concepteur de vidéos qui donnent parfois vraiment l’impression de se situer dans les profondeurs du lac, évitent tout systématisme, en variant continuellement les angles d’approche. Le problème de la taille réduite du plateau est contourné, grâce à de multiples effets de lumière (horizons projetés, miroirs réfléchissants…).
Un très harmonieux travail, auquel les splendides costumes de Giovanna Fiorentini, dont les lignes sophistiquées semblent sortir de sérigraphies d’Erté, apportent une touche d’élégance décisive. Dès lors, Paul-Émile Fourny n’a plus qu’à mettre en place une direction d’acteurs sobre, par petites touches, sans rien d’emprunté, constamment soignée.
Pour ce qui est de l’intégration des scènes de pantomime et de ballet, très difficile, surtout au II, elle s’effectue plutôt naturellement, à l’exception de la « Polonaise », seule séquence vraiment dansée, parenthèse joliment chorégraphiée par Alba Castillo et Bryan Arias.
Aucun nom familier sur l’affiche, mais une distribution riche en voix intéressantes. À commencer par la première Rusalka de la soprano dano-russe Yana Kleyn, au timbre tellement typique d’une certaine école qu’on l’imaginerait plutôt dans un opéra féerique de Rimski-Korsakov, mais qui, en dépit de cette spécificité pas forcément propice, réussit à s’identifier à son personnage sans raideur, avec des aigus qui parviennent à s’arrondir et, surtout, à émouvoir.
Le ténor bulgare Milen Bozhkov, voix déjà mûre, conserve à son incarnation du Prince une véritable élégance de jeune premier, au prix de quelques tensions habilement camouflées. Somptueuse Princesse étrangère de la soprano française Irina Stopina, dramatique et anguleuse, et Jezibaba plus distinguée que maléfique de la mezzo roumaine Emanuela Pascu. Un peu de fatigue, çà et là, pour la basse coréenne Insung Sim, au demeurant Vodnik digne et attachant, et excellents seconds rôles.
Une très belle équipe, parfaitement coordonnée par le chef suisse Kaspar Zehnder, qui sait mettre en valeur les timbres de l’Orchestre National de Metz Grand Est, au service d’une lecture musicale regorgeant de mélancolie et de poésie.
Laurent Barthel