Opéras Rusalka rate son entrée à Milan
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Rusalka rate son entrée à Milan

11/07/2023
© Teatro alla Scala/ Brescia/Amisano

Teatro alla Scala, 22 juin

Rusalka n’avait jamais été représentée à la Scala. Cent vingt-deux ans après la création de l’ouvrage, l’oubli est enfin réparé. D’où le choix d’un spectacle ancré dans une certaine tradition – en apparence, à tout le moins, et pas nécessairement pour le meilleur… De retour dans le temple milanais de l’art lyrique, où elle avait monté Carmen, en décembre 2009, pour ses débuts à l’opéra, Emma Dante formule, sur l’opposition entre deux mondes et « l’intolérance d’une communauté fermée qui marginalise et exclut » l’héroïne, des intentions incontestables.

Elles sont cependant noyées dans une esthétique manifestement inspirée des grands classiques de Walt Disney, ou du moins de l’univers chamarré des contes pour enfants, mais dont le charme n’opère que sur le papier. Ainsi, les costumes signés Vanessa Sannino, dont les croquis illustrent abondamment le programme de salle, perdent, une fois taillés aux mesures des interprètes, la plus grande part de leur magie et de leur étrangeté zoomorphe – à l’exception poétique des Dryades, transformées en cervidés moulés de rose.

Pourtant essentiel, puisqu’il symbolise, tant dans l’église gothique en ruine qui abrite les actes I et III, que dans le palais du Prince, au II, un « monde inondé » – « cause catastrophique d’une non-acceptation envers ceux d’origines et d’apparences différentes » –, l’élément aquatique des décors de Carmine Maringola n’est, quant à lui, visible que depuis une certaine hauteur, du fait de l’absence de pente, sur le plateau, comme au parterre.

On peur y ajouter une direction d’acteurs tout bonnement indigente, et des chorégraphies frisant l’amateurisme, sans qu’il soit possible de déterminer vraiment si la distance parodique de certaines séquences est subie ou voulue. À commencer par cette vision censément cauchemardesque de la cour attablée, se jetant avec voracité sur un plat de tentacules – ceux, justement, dont Rusalka, parfois soumise à la menace d’un hameçon géant, a été privée pour rejoindre le monde des humains, où elle se retrouve, non seulement doublée par une danseuse, chargée d’exécuter quelques pas plus ou moins acrobatiques, mais aussi poursuivie par des majordomes tentant de la mettre sous cloche, afin de lui rappeler sa condition de créature comestible…

L’interprétation musicale ne convainc pas davantage, malgré la présence, au pupitre, d’un chef tchèque, éminent spécialiste de la partition de Dvorak, de surcroît. Est-ce parce que Tomas Hanus passe après Semyon Bychkov, d’une évidence absolue, cet hiver, au Covent Garden de Londres (voir O. M. n° 192 p. 50 de mai 2023), ou parce que notre oreille est encore sous l’emprise des teintes pastel du Concertgebouw, entendu le 2 juin, dans la nouvelle production du DNO d’Amsterdam (voir plus haut) ? Toujours est-il que, sous sa baguette, l’orchestre de la Scala se révèle trop uniformément clinquant, et n’évite pas certains flottements dans la mise en place, qui surprennent d’autant plus que cette représentation  du 22 juin est la dernière de la série.

Autre comparaison qui, certes, n’est toujours pas raison, mais plus cruelle encore : qui a vu, et entendu, au moins une fois, ces dernières saisons, Asmik Grigorian dans le rôle-titre, peut difficilement en faire abstraction. Même face à une artiste aussi différente qu’Olga Bezsmertna qui, bien malgré elle, car le plus souvent clouée sur un fauteuil roulant, tentacules obligent, se voit refuser l’occasion de s’aventurer sur le terrain de l’incarnation. Il faut donc se contenter de goûter les vertus d’un timbre mordoré, assez typique des sopranos slaves – et non exempt, dès lors, d’une forme de dureté, quand la tessiture se tend –, allié à une palette dynamique suffisamment étendue, pour donner du relief à la sincérité d’un chant à l’ancienne, voire daté.

Sans vouloir enfermer l’excellent ténor rossinien qu’est et demeure Dmitry Korchak dans son répertoire d’origine, il convient d’admettre que l’écriture du Prince, même s’il en franchit les obstacles avec une assurance claironnante, appelle une autre ampleur. Jezibaba peu stimulée par la mise en scène, Okka von der Damerau a été, ailleurs, bien plus percutante. Et si Elena Guseva est conforme, par l’épaisseur plus que le tranchant, à une certaine idée de la Princesse étrangère, ce sont, surtout, quelques silhouettes qui se distinguent : le Chasseur au métal fièrement projeté d’Ilya Silchukou, le Marmiton plein d’allant de Svetlina Stoyanova et, en Deuxième Dryade, la pulpe luxueuse de la gagnante de l’édition 2022 du Concours « Operalia », Juliana Grigoryan.

Très haut, enfin, se situe Jongmin Park – comme, déjà, dans le Tristan und Isolde de l’Opéra National de Lorraine, à Nancy (voir O. M. n° 190 p. 58 de mars 2023), que dominait son Marke bouleversant –, dont le Vodnik de noble granit coule ses interventions dans un legato onctueux.

Mehdi Mahdavi


© Teatro alla Scala/ Brescia/Amisano

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