Opéras Rigoletto à Turin
Opéras

Rigoletto à Turin

08/03/2025
Giuliana Gianfaldoni et George Petean. © Teatro Regio Torino/Mattia Gaido/Daniele Ratti

Teatro Regio, 28 février

Pour cette nouvelle production de Rigoletto, Leo Muscato et son équipe ont conçu une plateforme tournante occupée par un mur ondulé et irrégulier, qui définit efficacement les différents lieux dans lesquels se déroule l’intrigue. Cette paroi est recouverte de miroirs déformants qui, selon l’intention du metteur en scène, sont censés assimiler les autres personnages à Rigoletto : tous apparaissent différents de ce qu’ils sont réellement, comme si chacun cachait une partie de lui-même ; chaque reflet révèle une identité fragile et ambiguë. Sur le papier, le concept semble intéressant. Sa traduction scénique, cependant, convainc seulement en partie, notamment parce que les distorsions des figures sont à peine perceptibles. 

Le Duc est un riche parvenu, arrogant et dénué de scrupules, mû uniquement par la quête de son propre plaisir, entouré de parasites qui ne l’adulent que pour jouir de son luxe. La transposition temporelle à la Belle Époque vise à inscrire l’action dans un climat d’effervescence euphorique, teinté d’une frénésie presque maladive. Dans ce contexte, Rigoletto n’est plus le bouffon de cour, mais une sorte de jouet vivant de l’homme le plus puissant de la ville, si puissant qu’il rend intouchable cet être marginal, méprisé par tous et considéré comme un monstre. Son corps porte les stigmates de sa condition : outre sa bosse, il est marqué par le psoriasis et l’alopécie, le tout dissimulé sous un manteau trop grand et un large chapeau. Gilda, quant à elle, plus qu’une jeune femme de chair et de sang avec ses pulsions légitimes, est l’archétype de l’innocence candide et inconsciente ; elle vit recluse dans un couvent, confiée aux soins des religieuses qui l’habitent. L’idée est captivante et donne une certaine crédibilité à la scène de l’enlèvement.

Le dernier acte se déroule dans des bas-fonds sombres et sordides, un univers de débauche et de perdition peuplé de prostituées. C’est dans ce décor que se niche le taudis de Sparafucile, où, dans une inversion dramatique marquante, c’est Maddalena – et non Sparafucile – qui poignarde Gilda, soulignant ainsi l’absence totale de scrupules et de remords dans cet univers de vice et de criminalité. Au bilan, une mise en scène portée par quelques idées dignes d’intérêt, dont la transposition scénique, malgré quelques réserves, s’avère soignée. 

La direction de Nicola Luisotti se distingue par une grande variété dynamique et une remarquable flexibilité rythmique, toutes deux visant à exalter la théâtralité du chef-d’œuvre verdien. Le travail avec les chanteurs – en particulier avec Gilda – est méticuleux et aboutit parfois à des choix interprétatifs surprenant​s. Chœur et orchestre maison répondent aux sollicitations du chef avec concentration et précision.

Le Rigoletto de George Petean souffre d’un timbre peu séduisant et, lorsqu’il monte dans le registre aigu, la voix reste en arrière et perd en projection. À cela s’ajoutent des nuances de chant plutôt prévisible​s et un jeu scénique figé. (notamment lors de « Pari siamo ! », où il demeure immobile d’un bout à l’autre de son monologue) ; une prestation globalement honorable, mais sans éclat. Cynique et dominateur sur le plan scénique, Piero Pretti affiche sa facilité dans le registre aigu, mais sa propension aux nuances est intermittente et sa diction manque du relief et de l’emphase caractéristiques de l’ineffable accent verdien. En revanche, la Gilda de Giuliana Gianfaldoni constitue une belle surprise. Dotée d’une maîtrise technique remarquable, elle excelle notamment dans la gestion de pianissimi éthérés, presque immatériels, qui correspondent parfaitement à la vision angélique du personnage portée par la mise en scène. Luisotti l’accompagne avec une attention extrême, ralentissant le tempi et affinant le tissu orchestral lorsque nécessaire pour permettre à cette voix singulière de déployer son charme indéniable. 

Martina Belli campe une Maddalena vocalement correcte et scéniquement idéale, tandis que Goderdzi Janelidze offre un Sparafucile décevant, au timbre caverneux et à la diction approximative. Les rôles secondaires s’acquittent honorablement de leur tâche, scellant ainsi un spectacle chaleureusement accueilli par le public de la première.

PAOLO DI FELICE

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