En relisant, avant envoi à l’imprimerie, les pages « Agenda » de ce numéro, j’ai été frappé par le manque d’originalité de la programmation des trois prochains mois, dans le pays qui a vu naître le genre « opéra » : l’Italie.
La période qui s’étend de la fin novembre à la mi-février est, traditionnellement, la plus attendue de l’année, car c’est le moment où les principaux théâtres de la Péninsule inaugurent leur nouvelle saison. À part Mirandolina de Martinu, à Bologne, Gloria de Cilea, à Cagliari, La finta semplice de Mozart et Doktor Faust de Busoni, à Florence, et Satyricon de Maderna, à Venise, aucun titre ne m’a sauté aux yeux (je ne parle pas, ici, des distributions).
Trois Aida, trois Traviata, deux Don Carlo, deux Nozze di Figaro, deux Barbiere di Siviglia, deux Matrimonio segreto : Verdi, Mozart, Rossini et Cimarosa n’ont-ils pas composé autre chose ? Der fliegende Holländer, Boris Godounov, Salome, I vespri siciliani ou Dialogues des Carmélites ne sont en rien des raretés. Et c’est uniquement le fait du hasard si Rigoletto, La Bohème, Madama Butterfly, Tosca, Don Giovanni, La Cenerentola et L’elisir d’amore ne figurent qu’une fois dans la liste – ils arrivent, dans la plupart des cas, plus tard dans la saison…
En effet, ne voulant pas être injuste, je suis allé regarder de plus près la programmation de l’année 2023 pour ces mêmes théâtres, en excluant les festivals dédiés à un compositeur, dont l’une des missions est, précisément, de programmer des ouvrages peu joués (Donizetti à Bergame, Verdi à Parme, Rossini à Pesaro…). Que des titres rabâchés ! Sauf quelques opéras baroques et contemporains, deux ou trois raretés du XIXe siècle, en version de concert, et, quand même, L’amore dei tre re de Montemezzi, à Milan, et Maometto II de Rossini, à Naples.
Comment la patrie de l’opéra a-t-elle pu en arriver là ? Comment des institutions comme la Fenice de Venise, le San Carlo de Naples ou le Teatro dell’Opera de Rome ont-elles pu restreindre leur champ de vision à ce point ? Elles qui, des années 1960 au début du troisième millénaire, ont joué un rôle déterminant dans la redécouverte des partitions oubliées de compositeurs célèbres (Bellini, Donizetti, Rossini, Verdi…), comme de musiciens injustement méprisés (Mercadante avec Le due illustri rivali et Il bravo, Meyerbeer avec Il crociato in Egitto, Pacini avec Saffo…).
Le constat est d’autant plus accablant qu’il n’a jamais été aussi facile de juger des mérites d’un ouvrage tombé dans l’oubli, avant de prendre la décision de l’afficher. Grâce à des firmes comme Opera Rara, CPO Records, Naxos ou Éditions Palazzetto Bru Zane, sans parler de YouTube, on peut aujourd’hui écouter un nombre incalculable de partitions – une chance que n’avaient pas les programmateurs, il y a cinquante ans !
Quelques exemples, pris au hasard. Alors que l’intégrale Opera Rara, réalisée en studio, avec une remarquable équipe de chanteurs, est disponible depuis trente ans, le San Carlo n’a toujours pas pensé à monter Orazi e Curiazi, authentique chef-d’œuvre de Mercadante, créé entre ses murs, en 1846. Et aucun autre théâtre italien n’a eu l’idée de le faire à sa place.
Quittons l’Italie pour la France. En 2016, le Palazzetto Bru Zane a publié, en première discographique mondiale, Cinq-Mars de Gounod. Je ne suis pas le seul à avoir découvert, en cette occasion, un titre méritant vraiment de connaître, à nouveau, les honneurs d’une mise en scène. Sauf que j’ai dû aller en Allemagne, plus précisément à Leipzig, pour la voir, l’année suivante ! Plus grave, depuis cinq ans, et malgré les efforts du Palazzetto, aucun théâtre de l’Hexagone n’a pensé à reprendre l’ouvrage, alors que la production existe et qu’il suffit de la louer, si l’on n’a pas l’envie ou les moyens d’en commander une nouvelle.
Ce serait, bien sûr, à l’Opéra-Comique, théâtre de la création de Cinq-Mars, en 1877, de prendre l’initiative, dans le cadre de sa politique de défense du répertoire français. Mais rien n’interdit à d’autres maisons de tenter l’aventure… D’autant que la partition ne requiert pas des gosiers d’exception et que l’action, romanesque à souhait, a tout pour séduire le public d’aujourd’hui, friand d’émissions type Secrets d’histoire (Louis XIII figure dans la distribution et le cardinal de Richelieu, même s’il n’apparaît pas, est le deus ex machina de l’intrigue).
En espérant être entendu, tant pour Orazi e Curiazi que pour Cinq-Mars, je vous souhaite, chers lecteurs, de bonnes fêtes et une excellente année 2023.
RICHARD MARTET