Opéras Résurrection patrimoniale à Madrid
Opéras

Résurrection patrimoniale à Madrid

03/03/2023
© Teatro Real/Javier Del Real

Teatro Real, 23 février

Parmi les nombreuses missions du Teatro Real, figure de proue de la vie lyrique en Espagne, figure la défense du répertoire national. Remercions donc l’institution et son directeur artistique, Joan Matabosch, pour la résurrection d’Achille in Sciro du compositeur italien Francesco Corselli, « opera drammatica » en trois actes, créé le 8 décembre 1744, au Real Coliseo del Buen Retiro de Madrid, à l’occasion des fiançailles de l’infante Marie-Thérèse Raphaëlle, fille du roi Philippe V d’Espagne, avec le dauphin Louis-Ferdinand de France, fils de Louis XV.

Né à Plaisance, en 1705, Francesco Corselli, également connu sous le nom de Francisco Courcelle (son père était français), arrive à Madrid, en 1733 ; il y occupe successivement les fonctions de maître de musique auprès des infantes, puis de maître de la Chapelle Royale. Jusqu’à sa mort, en 1778, il écrit aussi bien des pièces sacrées que profanes, jouant un rôle déterminant dans l’implantation d’un opéra de cour en Espagne, servi par une compagnie de chanteurs majoritairement espagnols.

Alors qu’il arrive à Corselli d’écrire des opéras dans la langue de son pays d’adoption, comme La cautela en la amistad y el robo de las Sabinas (1735) ou La clemencia de Tito (1747), Achille in Sciro reprend le texte original italien de Pietro Metastasio, mis en musique pour la première fois, en 1736, par Antonio Caldara. Placée sous la direction artistique du légendaire castrat Farinelli, installé à Madrid, depuis 1737, et devenu le chanteur personnel de Philippe V, la création mobilise huit peintres et plus d’une centaine d’ouvriers pour la construction des fastueux décors et machineries.

La cour d’Espagne ne lésine pas, non plus, sur la distribution, qui mêle chanteurs italiens et espagnols. Sur les sept personnages, cinq sont confiés à des sopranos femmes (Achille/Pirra, Deidamia, Ulisse, Teagene, Arcade), un seul à un castrat (Nearco) et un à une basse (Licomede). Et pas n’importe quelle basse, puisqu’il s’agit du célèbre Antonio Montagnana, créateur de plusieurs œuvres de Haendel (Ezio, Sosarme, Orlando, Athalia…).

L’intrigue se concentre sur la figure du tout jeune Achille, envoyé sur l’île de Sciro (Skyros) par sa mère, flanqué de son tuteur, Nearco, pour tenter de le soustraire à la guerre de Troie. Déguisé en femme et connu sous le nom de Pirra, Achille est amoureux de Deidamia, la fille du roi Licomede, promise à Teagene. Arrive Ulisse, qui reconnaît le fugitif. Déterminé à obtenir son concours pour partir au combat, il fait tout, avec l’aide d’Arcade, son confident, pour l’obliger à se démasquer. Ce qui, bien sûr, finit par arriver. Licomede, toutefois, ne tient pas rigueur à Achille de sa mystification et l’unit à Deidamia, avant son départ pour Troie.

Jouant à la fois sur le comique et le tragique, en accordant une place centrale au travestissement cher à l’opéra vénitien du XVIIe siècle, le livret, sans être l’un des plus captivants de Metastasio, se suit avec plaisir. La musique de Corselli, en revanche, aussi agréable à écouter soit-elle, peine à retenir l’attention. Cet implacable enchaînement de récitatifs et arie laisse une pénible sensation de monotonie. Aucune mélodie ne se grave durablement dans l’oreille, et la simple évocation d’Alcina de Haendel ou d’Orlando furioso de Vivaldi suffit pour mesurer ce qui sépare un bon faiseur d’un génie.

Au pupitre d’un Orquesta Barroca de Sevilla aux cuivres cruellement défaillants, Ivor Bolton, qui participe aussi au continuo (excellent Monteverdi Continuo Ensemble), ne ménage pourtant pas sa peine. Pas plus que les chœurs du Teatro Real, dans leurs trois interventions, et les sept solistes d’une distribution solide et engagée.

S’en détache l’Achille/Pirra de Gabriel Diaz, contre-ténor espagnol quasiment inconnu, qui remplace Franco Fagioli, souffrant, pour toute la série de représentations. Extrêmement sollicité (sept airs au total), il impressionne par sa vaillance, sa puissance, ses capacités d’émotion et ses dons de comédien.

Autre rôle distribué à un contre-ténor – sans doute pour éviter une trop grande uniformité des timbres avec cinq sopranos féminins –, Ulisse échoit à Tim Mead, à la voix fine et claire, dont le chant éloquent fascine de bout en bout. Nearco et Arcade sont confiés à deux ténors, aussi brillants l’un que l’autre : Juan Sancho et Krystian Adam. Mirco Palazzi vocalise bien, mais il reste un baryton-basse, privé de la résonance dans le grave exigée par Licomede.

Remarquable actrice, Sabina Puertolas finit par convaincre en Teagene, son assurance et sa technique aguerrie ne faisant pas oublier, malgré tout, un aigu trop étroit. L’autre soprano, Francesca Aspromonte, confirme ses affinités avec le répertoire dit « baroque ». Sa maîtrise et sa musicalité font merveille en Deidamia, même si la projection s’avère un peu insuffisante pour une salle de 1 800 places.

Mariame Clément, enfin, que l’on a connue plus audacieuse (pour le meilleur comme pour le pire), signe une mise en scène classique et sage, dans un somptueux décor de Julia Hansen : une immense grotte dans le style baroque, avec force rochers, stalactites et stalagmites, baignant dans de magnifiques lumières. Les costumes sont également très réussis, notamment celui de l’infante Marie-Thérèse Raphaëlle (une ravissante robe à paniers jaune).

L’omniprésence de ce personnage muet, absent du livret et joué par Katia Klein, ajoute-t-elle quelque chose à notre perception d’Achille in Sciro ? On peut en douter, mais elle demeure, reconnaissons-le, parfaitement inoffensive. À l’image de la direction d’acteurs, soignée mais sans surprise. Une production comme celle-ci, à vocation avant tout patrimoniale, ne demande pas davantage.

RICHARD MARTET


© Teatro Real/Javier Del Real

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