Opéra Bastille, 21 novembre
La mise en scène de Calixto Bieito semble bien installée à l’Opéra Bastille, depuis son entrée au répertoire de l’Opéra National de Paris, en 2017. Son principal avantage réside dans la sobriété de ses décors et sa direction d’acteurs précise. Ces qualités se retrouvent dans la distribution.
Gaëlle Arquez n’a pas les moyens vocaux impressionnants d’une Anita Rachvelishvili, mais elle possède l’exacte typologie requise pour Carmen, un rôle qu’elle a beaucoup chanté, depuis six ans. Entre soprano lyrique et mezzo-soprano, elle joue l’équilibre. Le registre grave est suffisant dans l’air « des cartes », et l’aigu léger dans la « Séguedille ». Surtout, son interprétation reste constamment musicale, ce qui exclut tout effet vériste.
Du point de vue théâtral, la mezzo française n’est jamais vulgaire. Son incarnation donne l’image d’une Carmen subtile et riche psychologiquement, hantée par la mort, mais drôle à l’occasion, volage certes, mais sincère et émue quand elle avoue son amour à Escamillo, au dernier acte.
En Don José, Michael Spyres brille par un art vocal sans pareil. Aucune brutalité dans la ligne, mais un dosage minutieux de la couleur et des passages entre les registres, avec une élégante maîtrise du falsetto. Comme l’on pouvait s’y attendre, son air « La fleur que tu m’avais jetée » aura été longuement et chaleureusement applaudi. Mais d’autres moments, comme le duo avec Micaëla et, surtout, la fin du III, sont tout aussi réussis. Il peut alors déployer une certaine puissance vocale et dramatique, sans faire du gros son.
À côté de ces qualités proprement musicales, le ténor américain ne néglige pas la théâtralité de son personnage. Il parvient à imposer, en particulier dans la toujours bouleversante scène finale, une image de « loser » tendre.
La soprano sud-africaine Golda Schultz débute à l’Opéra National de Paris, avec Micaëla. C’est une bonne surprise. Elle aussi possède, outre un timbre délicieux, une belle maîtrise technique, qui rend particulièrement séduisant son air « Je dis que rien ne m’épouvante ». Et puis, ce sourire charmeur et touchant, au milieu de ce monde de brutes, offre un heureux contraste dramatique.
En Escamillo, on retrouve, avec plaisir, Lucas Meachem, qui nous avait séduit en Billy Budd, ici même, en 2010. Le « toréador » du baryton américain n’est pas un coq bellâtre, et ne souffre aucune vulgarité. Au contraire, il se présente, à chacune de ses apparitions, comme un grand bourgeois, austère et réservé, ce qui peut surprendre, mais n’est pas mal vu. Ce digne personnage chante… dignement, dans un français châtié (tout le monde, précisons-le, prononce le texte très correctement).
Il n’y a pas de petit rôle dans Carmen, et Tomasz Kumiega et Alejandro Baliñas Vieites suscitent un intérêt immédiat. Andrea Cueva Molnar et Adèle Charvet sont parfaites dans les ensembles. Quant à Marc Labonnette et Loïc Félix, ils ajoutent une pincée de blague parisienne dans cette sombre histoire, héritage de la tradition d’« opéra-comique ».
La Maîtrise des Hauts-de-Seine est aussi bonne vocalement que concernée scéniquement. L’Orchestre de l’Opéra National de Paris est superbe. Fabien Gabel dirige avec des tempi contrastés, puisant dans ces contrastes une réelle tension dramatique.
Plus qu’une reprise de routine, une représentation aboutie et d’une belle tenue.
JACQUES BONNAURE