Théâtre Royal, 25 novembre
Pour Alzira (Naples, 1845), drame du trio amoureux classique, placé dans le cadre de la lutte entre Espagnols et Incas, il était judicieux de faire partir cette nouvelle coproduction du Gran Teatro Nacional de Lima, en novembre 2020, avant qu’elle soit reprise tardivement, en raison de la crise pandémique, par l’ABAO de Bilbao, en avril 2022, puis l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, pour la création de l’ouvrage in loco, chaque fois avec des distributions différentes.
Originaire lui-même du Pérou, Jean Pierre Gamarra n’a pas cherché un « exotisme » que refuse la partition, sinon pour les capuchons qui coiffent les Incas, et quelques jolis costumes discrètement hispanisants. Un dispositif très simple encadre les deux actes, avec un talus herbeux parallèle à l’avant-scène, pour le premier (par lequel Jean Pierre Gamarra voudrait désigner la terre péruvienne, pour lui véritable enjeu de l’œuvre…), et une estrade pouvant reculer vers l’arrière-scène, pour le second.
Des tombées de pendrillons ou de filins, au fond et sur les côtés, ferment la boîte scénique, tout en permettant de faire apparaître, par transparence, des jeux d’ombres divers. Ce dispositif permet aussi de résoudre facilement le problème des chœurs, très présents dans l’action : immobiles le plus souvent, et alignés derrière le talus ou l’estrade, ou assis en rangs serrés, de part et d’autre de celle-ci, pour le grandiose finale du II.
Pas de recherche de modernisation hors de propos, non plus, mais une esthétique dépouillée, complétée par le jeu de perches portant tubes d’éclairages à nu, qui descendent un peu trop régulièrement des cintres, comme on l’a souvent vu. Avec quelques effets purement plastiques réussis, comme cette entrée d’Alzira dans sa robe de mariée, au II, au milieu de vapeurs blanches, une direction d’acteurs limitée assurant, par ailleurs, la mise en place efficace des ensembles.
Dans l’assez lourd rôle-titre, Francesca Dotto a l’atout de sa grande beauté en scène et d’un jeu délié adéquat. La soprano italienne se montre parfois un peu serrée dans l’aigu (la vocalise de son air d’entrée « Da Gusman, su fragil barca »), assez loin quant à l’ampleur et la rondeur de la voix exigées, mais tenant honorablement sa place, au regard des dimensions moyennes de la salle.
À 58 ans, Giovanni Meoni, dont on placera le Gusmano dans la descendance lointaine de celui de Renato Bruson (Orfeo), avec un timbre aujourd’hui grisé, mais expressif, impose son personnage, dès un vaillant « Eterna la memoria ». Le baryton italien livre ensuite de très beaux duos avec l’héroïne, notamment « Il pianto… l’angoscia… », jusqu’au périlleux « E dolce la tromba », et émouvant encore dans le parfait legato de ses interventions en soliste, pour le splendide « concertato » final.
Si les nombreux comprimari sont méritants, on discutera, en revanche, le Zamoro de Luciano Ganci, au timbre flatteur, mais qui déploie sans mesure ses moyens, et se montre tout aussi peu nuancé en scène. Le ténor italien souffre dans son grand air de bravoure (« Irne lungi ancor dovrei »), puis frôle l’accident, à la fin de « Non di codarde lagrime ».
Pour ses débuts comme nouveau directeur musical de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, à la tête des excellentes forces de la maison, Giampaolo Bisanti réussit brillamment son entrée. Il joue, avec beaucoup d’assurance, la carte un peu fragile de l’œuvre à défendre, plutôt mieux que ses prédécesseurs de la discographie existante, énergique sans brutalité, efficace avec élégance.
Au terme de cette très opportune résurrection, et malgré le constat de quelques creux d’inspiration (à commencer par la déroutante Ouverture guillerette, rajoutée par Verdi au dernier moment), et le jugement injuste du compositeur lui-même (« Quella [Alzira] è proprio brutta ! »), on peut conclure que l’ouvrage ne mérite vraiment plus cet ostracisme persistant, et doit rejoindre au répertoire ses voisins : Ernani, I due Foscari et Giovanna d’Arco avant, Attila après.
FRANÇOIS LEHEL