Opéras Prokofiev superbement servi à Nancy
Opéras

Prokofiev superbement servi à Nancy

28/11/2022
© Simon Gosselin

Opéra National de Lorraine, 16 novembre

Déboulant de la salle, une troupe d’hommes en combinaisons blanches envahit le plateau : la foule compacte des Tragiques, Comiques, Lyriques, et Ridicules, qui occuperont, le plus souvent, les galeries placées au niveau supérieur, contemplant et discutant l’action autant que manipulateurs, une manière ingénieuse de résoudre le difficile problème de leur intégration.

C’est ensuite, après le retrait d’un rideau de scène au ciel bleu semé de nuages très magrittien, le dévoilement d’un ravissant château médiéval. Beau décor construit, posé au milieu du plateau, avec pont-levis et échauguette, jouet mi-drôle, mi-sérieux, sur un plateau tournant, permettant d’en découvrir l’autre face dans la seconde partie. Le tout entouré d’une passerelle circulaire, couloir de circulation particulièrement judicieux pour le cortège et l’irrésistible marche (dérivée de celle du Coq d’or rimskien), plus tard pour le cheminement difficile du Prince vers le royaume de Créonte, puis le retour à la cour de son père.

Plusieurs caisses de bois, descendant périodiquement des cintres, assurent au mieux la lisibilité, par les inscriptions qu’elles portent. Elles pourront s’ouvrir, le moment venu, pour offrir des armes dérisoires, en forme de petits canons, au Prince et à Truffaldino, et encore déverser des serpentins, des oranges, ou le sable mortifère pour Nicolette et Linette, mais aussi l’eau salvatrice pour Ninette.

On ne cesse ainsi de découvrir les multiples ressources de ce brillant travail scénique, d’une invention pétillante, et toujours très habilement éclairé, des collaborateurs habituels de l’Autrichienne Anna Bernreitner (particulièrement le costume à éclatement instantané des trois oranges !), reconduisant ainsi son équipe de Die Zauberflöte, la saison dernière, et sans doute mieux encore en situation.

Avec une direction d’acteurs poussée, Anna Bernreitner a réussi à trouver le ton juste, et surmonté les nombreuses difficultés posées par un livret un peu chaotique, entre autres ce ralentissement de l’action, à l’acte III, après la scène toujours désopilante de la Cuisinière.

Mené avec une inlassable énergie, son plateau sert au mieux ses intentions (avec aussi une diction exemplaire, triomphant de cette prosodie heurtée impossible de la version française), après qu’une irruption du Covid a imposé le remplacement impromptu du Roi de trèfle de Dion Mazerolle par Matthieu Lécroart, pour un impeccable et très expressif déchiffrage derrière pupitre, côté jardin, le rôle étant joué, sur scène, par l’assistante d’Anna Bernreitner…

La distribution est dominée par l’étonnant Truffaldino de Léo Vermot-Desroches (pour Yann Beuron, annoncé à l’origine), composant un fascinant et complexe personnage, alliant malice, duplicité, couardise, dans un jeu d’une souplesse féline, et ténor aussi éclatant que raffiné. Mais le Prince de Pierre Derhet, avec toute la séduction requise, n’est pas moins percutant, non plus que le Léandre retors à souhait d’Anas Séguin, l’ample Tchélio de Tomislav Lavoie ou le Farfarello délié de Benjamin Colin. La Cuisinière géante et à la basse confortable de Patrick Bolleire, au milieu d’un entassement de crinolines jaunes monumentales, remplit pleinement son contrat.

C’est le cas aussi côté féminin, avec la truculente et puissante Fata Morgana de Lyne Fortin, ainsi que la Princesse Clarice, au mezzo mordant, de Lucie Roche. Un peu moins les Sméraldine et Linette plus étroites de Margo Arsane, et malheureusement, nettement moins la Ninette d’Amélie Robins, pourtant charmante en scène, mais pas toujours parfaitement compréhensible et dont l’aigu, excessivement trémulant, compromet la pureté et la séduction exigées par le personnage.

Dirigeant un Orchestre de l’Opéra National de Lorraine à son meilleur, malgré une fosse un peu limitée pour l’œuvre (les harpes ont été repoussées dans les loges), la Française Marie Jacquot, bien trop rare dans son pays, trouve, elle aussi, le ton juste, avec un brio irrésistible.

Pour la création de L’Amour des trois oranges à Nancy, une superbe réussite d’ensemble, qu’il faudra aller revoir, la saison prochaine, en Allemagne, à Magdebourg, et en Suisse, à Saint-Gall, coproducteurs.

FRANÇOIS LEHEL


© Simon Gosselin

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