Opéras Pompeo Magno au Bayreuth Baroque Festival
Opéras

Pompeo Magno au Bayreuth Baroque Festival

26/09/2025
© Clemens Manser

Markgräfliches Opernhaus, 14 septembre

Jusqu’à présent attaché, comme directeur artistique du festival « Bayreuth Baroque », aux opéras rares du XVIIIe siècle, Max Emanuel Cencic y monte pour la première fois un ouvrage du Seicento : Pompeo Magno, opéra tardif de Cavalli (1666), et le dernier à avoir été représenté à Venise. Malgré ce qu’on lit dans le programme, il ne s’agit pas de la résurrection moderne de l’œuvre, déjà présentée en concert à Londres en 1975, puis sur scène en 2002 au festival de Varaždin (Croatie). Partant du principe que le librettiste Nicolò Minato, sous couvert de Rome antique, parle de la Venise de son temps, Cencic place l’action dans la Sérénissime, dont le Lion domine fièrement le décor, et choisit l’angle de la commedia dell’arte, grâce à la collaboration de la spécialiste italienne Chiara D’Anna, mobilisant en particulier toute une troupe omniprésente de personnes de petite taille.

Le résultat est d’une grande luxuriance, tant visuelle que sonore, chef et metteur en scène partageant le goût d’un baroque exubérant et spectaculaire. Si le premier acte est assez éblouissant, avec une débauche de couleurs, costumes, mouvements et changements à vue, le système trouve un peu ses limites aux deux suivants, un côté répétitif et une tendance à la surenchère (le registre sexuel) se faisant jour. Certains moments, comme l’apparition d’Amour au III, confinent au kitsch. De même, si l’on admire comme toujours la direction très vivante du chef argentin, avec son continuo si inventif et éloquent, une instrumentation opulente, une énergie rythmique et un sens des enchaînements irrésistibles, certains effets proches de la comédie musicale ou du cartoon, glissandi ou percussions technicolor, semblent très appuyés et redondants.

L’interrogation majeure concerne l’équilibre des tons, propre à l’opéra vénitien, entre noble et comique, avec dans cette lecture une nette prédominance accordée à ce dernier. Même dans les scènes sérieuses, le contrepoint de commedia est envahissant et systématique, et certains personnages sont traités de façon bouffe sans que le livret le justifie : ainsi Giulia, fille de Cesare, montrée d’emblée en dévergondée. De même, avec Cesare en matamore et Crasso en pantin grotesque, on saisit mal les rapports très particuliers du triumvirat, avec un Pompeo du coup très valorisé et très à part, en doge vieillissant. Les autres personnages épargnés par le traitement bouffe, et donc mis en valeur, sont Mitridate, son épouse Issicratea, leur fils Farnace et Sesto, fils de Pompeo. Ce dernier est d’ailleurs un amoureux transi d’Issicratea, tout comme Claudio (fils de Cesare), lui confiné au seul registre grotesque, ce qui rend peu crédible leur rivalité amoureuse. 

D’autant que ces choix dramaturgiques induisent un traitement musical ad hoc, qui ne sert pas forcément les chanteurs. Si Victor Sicard parvient néanmoins à tirer son épingle en Cesare, Nicholas Scott et Jorge Navarro Colorado doivent se contenter du registre étroit qui leur est assigné. Le beau soprano fruité de Sophie Junker aurait mérité d’incarner une Giulia plus subtile et touchante. Toute l’émotion féminine se trouve reportée sur la fière et noble Issicratea de Mariana Flores, chanteuse éloquente et belle actrice. Par son ténor dense, Valerio Contaldo confère beaucoup d’humanité à un Mitridate tiraillé, optant in fine pour la grandeur d’âme. Côté contre-ténors, si Cencic se complaît à peindre un Pompeo amorti par les ans de son mezzo homogène mais un rien monochrome et peut-être un peu limité en projection dans le grave, c’est surtout son fils Sesto qui fait sensation, Nicolò Balducci alliant un physique de jeune premier à un soprano flexible et brillant, pour peu qu’il ne sollicite pas trop l’extrême aigu. 

Touchant mais inégal Farnace d’Alois Mühlbacher, avec quelques aigus criés, et très décevant Servilio (amant de Giulia) de Valer Sabadus, quasi sans timbre. En vétéran du plateau, Dominique Visse incarne un Delfo (esclave traité ici en soldat) truculent, même si son contre-ténor nasal a perdu en impact, surtout face à l’Atrea ravageuse de Marcel Beekman, et à l’Arpalia (suivante d’Issicratea) de Kacper Szelążek, qui lui volent la vedette en matière de voix de caractère tonitruantes. En tout cas, les cinq représentations de ce spectacle fastueux – déjà visible en streaming –, si accordé au cadre extravagant de l’Opéra des Margraves, ont été triomphales.

THIERRY GUYENNE

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