Salle Favart, 23 juin
Alors que l’important catalogue de Grétry semblait tombé en désuétude, il refait surface depuis une quinzaine d’années, et commence, au disque comme à la scène, à étonner par sa diversité et son charme. On a donc redécouvert un certain nombre de ces ouvrages quasiment disparus, mais l’un des plus originaux, dont la renommée s’était longtemps étendue à l’Europe entière, Zémire et Azor (Fontainebleau, 1771), manquait à l’appel.
Dans cette adaptation de La Belle et la Bête, Grétry réussit une agréable synthèse entre la « comédie-ballet » et l’« opéra-comique ». À plusieurs moments, et notamment au dernier acte, on entrevoit même l’« opera semiseria », qui fleurira au début du siècle suivant. Ainsi, Weber n’avait pas tort de distinguer chez Grétry un certain romantisme.
Ce nouveau spectacle de l’Opéra-Comique est coproduit avec l’Atelier Lyrique de Tourcoing et l’orchestre Les Ambassadeurs-La Grande Écurie, sous la direction musicale de Louis Langrée. Dès les premières mesures de l’Ouverture, on voit où le chef veut en venir : le ton sera vif, net et élégant.
Michel Fau a choisi de représenter la version avec dialogues parlés, ce qui est très judicieux, car ils permettent de mieux goûter les vers libres (un peu de mirliton, parfois !) de Marmontel. Ce choix, qui respecte l’essence même de l’« opéra-comique », est cependant risqué, s’il n’est pas travaillé.
Or, le metteur en scène a su imaginer une forme de déclamation très particulière, qui refuse le naturel (parler comme dans la vie) et la déclamation à l’ancienne, trop emphatique. Il en résulte une parole presque chantée, très séduisante. Et puis, surtout, on admirera, chez la plupart des interprètes, une prononciation parfaite, dans les dialogues comme dans les airs, que les sociétaires de la Comédie-Française feraient bien d’imiter.
Le beau décor d’Hubert Barrère et Citronelle Dufay représente un jardin clos, bordé d’arbres taillés en pyramides. Divers éléments mobiles viendront le compléter selon les actes, tandis que les lumières de Joël Fabing soulignent le caractère propre à chaque scène, avec un souci esthétique particulier.
Hubert Barrère a également conçu de superbes costumes ; celui du malheureux Azor sera forcément effrayant, alors qu’une splendide robe incrustée ornera la chaste Zémire, dont les sœurs seront accoutrées avec une fantaise d’époque. Les vêtements de Sander et Ali seront teintés d’orientalisme. Bref, tout concourt à une esthétique du plaisir et de l’émerveillement.
Et puis, bien sûr, il y a le chant. Julie Roset a de sérieux atouts à faire valoir en Zémire : le charme théâtral, nécessaire à son rôle d’ingénue amoureuse, mais aussi une parfaite gestion des vocalises extrêmement ardues que requiert, notamment, l’air « de la fauvette », dont Mozart s’est probablement inspiré pour « Martern aller Arten » (Die Entführung aus dem Serail). Le registre grave est encore un peu sourd, mais le reste est brillant, et la jeune soprano s’attire une ovation méritée.
Philippe Talbot n’est pas confronté aux mêmes acrobaties, mais le rôle d’Azor suppose une interprétation raffinée, touchante et élégiaque (« Ah ! quel tourment d’être sensible »), avec un art du legato souverain. Une fois de plus, le ténor prouve qu’il est, à ce jour, inégalé dans ce répertoire.
Le marchand Sander, père de Zémire, affronte des affects plus variés, entre douleur et vengeance (quasi alla Rigoletto). Le baryton Marc Mauillon se montre impressionnant en tout : la prononciation, la qualité de l’émission sur tous les registres, l’homogénéité de la voix, l’incarnation théâtrale !
Son serviteur Ali fournit le caractère comique et le « second degré », qui empêchent de prendre au tragique l’intrigue. Le ténor Sahy Ratia possède une émission d’abord un peu timide dans les graves, puis plus assurée. C’est, surtout, un fameux acteur, d’une agilité de gymnaste.
On perçoit, chez la soprano Margot Genet et la mezzo Séraphine Cotrez, qui incarnent les sœurs de Zémire, un talent vocal déjà bien plus qu’en germe. Enfin, dans le rôle de la Fée, Michel Fau s’impose, presque sans parler, par ses seuls talents théâtraux et chorégraphiques, aux cotés des Génies d’Alexandre Lacoste et Antoine Lafon, deux danseurs d’une infinie souplesse.
En somme, une belle fin de saison pour l’Opéra-Comique – et la redécouverte d’un chef-d’œuvre.
Jacques Bonnaure