C’est avec Piramo e Tisbe, en 1768, que Johann Adolf Hasse fit ses adieux à la scène lyrique. Dans cette partition que le compositeur tenait pour l’une de ses plus hautes réussites, s’exprime une ultime flamboyance, nourrie d’expérience et d’audace. Répondant à la curieuse dénomination d’« intermezzo tragico », l’œuvre frappe par sa singularité : une tragédie concentrée, épurée, qui rompt avec la tradition légère de l’intermède « bouffe » tout en tirant parti de ses moyens réduits. Car ces moyens sont modestes : une durée d’à peine deux heures, structurée en deux parties ; deux rôles principaux, un rôle secondaire ; un orchestre restreint, une intrigue d’une extrême simplicité.
Deux jeunes amants, Piramo et Tisbe, séparés par la haine ancestrale de leurs familles, vont jusqu’au sacrifice ultime pour vivre un amour que le père de Tisbe proscrit avec acharnement. Et pourtant, de cette économie naît une évocation remarquable. Hasse, en maître du théâtre musical, transcende les contraintes pour atteindre une forme d’intensité dépouillée. Son écriture vocale, à la fois ferme et élégante, allie l’aisance du bel canto galant à une expressivité plus nerveuse. L’orchestre, sans effets superflus, se pare de couleurs subtiles, de tensions harmoniques inattendues, de respirations qui amplifient le drame. Le contrepoint, d’une densité maîtrisée, soutient les affects sans jamais les alourdir. Œuvre tardive, Piramo e Tisbe s’affirme pourtant comme en avance sur son temps. Dans cet enregistrement récemment gravé pour Harmonia Mundi, elle retrouve tout le lustre qu’elle mérite grâce à l’élan raffiné de Bernhard Forck, à la tête de l’Akademie für Alte Musik Berlin. Le trio vocal réuni ici – Anett Fritsch (Piramo), Roberta Mameli (Tisbe) et Jeremy Ovenden (Il Padre) – en révèle chaque facette avec une remarquable cohésion et une sensibilité expressive de chaque instant.
Parmi les nombreux moments saillants de la partition, on retiendra notamment « Perderò l’amati beni » et « Freddo il sangue », confiés à Tisbe ; les duetti poignants des deux amants (« Vanne, ti lascio », « Ah, che mirar degg’io! »), les méditations tendues de Piramo (« Cosa tranquilla, e cheta serena notte », « Già la sento »), ainsi que l’air conclusif du Père, « Nella nera ombra di morte ». Piramo e Tisbe ne constitue pas seulement le chant du cygne d’un compositeur illustre ; il s’impose aussi comme un jalon méconnu entre la tragédie baroque et le drame classique – un opéra de chambre avant la lettre, tendu vers l’épure et l’essentiel. On tient ici, sans doute, la version la plus probante à ce jour.
CYRIL MAZIN
Anett Fritsch (Piramo) – Roberta Mameli (Tisbe) – Jeremy Ovenden (Il Padre)
Akademie für Alte Musik Berlin, dir Bernhard Forck
2 CD Harmonia Mundi 90539394
