Sur une commande d’Angers Nantes Opéra, le compositeur français a jeté son dévolu sur la célèbre pièce de Paul Claudel, L’Annonce faite à Marie, adaptée en livret par Raphaèle Fleury. Lever de rideau à Nantes, le 9 octobre, avant Angers, le 19, puis Rennes, le 6 novembre.
Il semble que l’écriture de votre premier ouvrage destiné à la scène soit le fruit d’une longue période de germination souterraine. Comment ce moment privilégié, qui vous a incité à créer une œuvre lyrique, s’inscrit-il dans votre parcours musical ?
Adolescent, je rêvais déjà de composer un opéra. Mais la rencontre avec une œuvre littéraire, capable de me toucher profondément, a demandé des années. Le rapport entre texte et musique m’a longtemps intimidé, de crainte d’un effet de redondance. Il fallait inventer ma forme, mon matériau et organiser ma pensée, avoir une vision générale de l’ouvrage à venir.
Quel monde sonore la lecture de L’Annonce faite à Marie, « mystère » de Paul Claudel (1868-1955), a-t-elle éveillé en vous ?
La puissance dramatique et émotionnelle de L’Annonce faite à Marie, qui donne accès au mystère de la transcendance, comme l’ampleur lyrique et épique de la pièce, ont résonné en moi. Son langage poétique, d’une musicalité singulière, d’une expressivité qui mêle des registres divers en une symphonie verbale, la rusticité naturelle du monde paysan et son jargon populaire, ancrés dans le pays d’enfance de Claudel, m’ont inspiré l’écriture de cet opéra.
En quoi le drame de Claudel, créé en 1912, puis révisé en 1948, a-t-il retenu votre intérêt ?
Le sujet est apparemment simple, celui de la jalousie de Mara, la sœur cadette, à l’égard de Violaine, son aînée. Mara profite de la déchéance de cette dernière, infligée par la lèpre qu’elle a contractée en donnant un baiser d’adieu à Pierre de Craon, le bâtisseur d’églises, pour lui voler son fiancé, Jacques Hury. Dénoncée par Mara, chassée de la maison familiale, Violaine survit, recluse et aveugle, à l’écart de tous. Elle accomplit un miracle en ressuscitant, dans la nuit de Noël, la petite fille de sa redoutable sœur, qui cherchera ensuite à la tuer. La pièce se clôt par un pardon que Violaine, mourante, accorde à Mara dans l’apaisement général. Triomphe d’un monde réconcilié que nourrit une pensée hautement spirituelle, ressort majeur de l’œuvre claudélienne, comme le suggère le titre de la pièce, emprunté à l’Angélus, célèbre prière mariale.
Est-ce cette alliance du sacré et du drame psychologique qui vous a fasciné ?
En effet, deux univers se côtoient, l’un réaliste, l’autre mystique. Les passions humaines, complexes et non manichéistes, se nouent au sein d’une cellule familiale, en plein cœur du Tardenois, pays de naissance de Claudel. La vie paysanne, dans sa banalité quotidienne, est chargée de l’atmosphère surnaturelle de la résurrection.
Avez-vous été particulièrement sensible à la vision claudélienne d’un théâtre total, où musique et poésie seraient nécessaires au drame ?
La résonance de puissantes images poétiques, comme la musique de la langue, divisée en vers qui rythment la phrase et épousent le souffle de l’émotion, m’ont profondément inspiré. Ce sont des éléments essentiels de l’écriture claudélienne, en particulier dans cet « opéra de paroles ». De plus, l’insertion de chants liturgiques et populaires, de sons de cloches et de trompettes, ou encore le crépitement du feu, attestent de la présence constante et signifiante de la musique. Elle irrigue l’espace théâtral, en instaurant un accord intime avec l’action : la traversée des épreuves, la mort et la renaissance à la vie.
L’aspect expérimental que suppose la réalisation d’un opéra vous a-t-il permis d’aller plus loin dans le geste musical ?
La composition de cette œuvre s’est forcément nourrie de mes expériences antérieures, en particulier dans le domaine vocal. J’ai cherché à traduire en musique la symbolisation claudélienne, celle d’un drame passionnel et spirituel, son unité interne, son aspiration au sacré et son mystère, alliant théâtre, musique et poésie. J’ai fait appel à un ensemble instrumental aux couleurs contrastées de huit musiciens, complété par un dispositif électroacoustique réalisé par l’Ircam, qui offre un potentiel de développement des textures sonores et une certaine plasticité des timbres.
Qu’en est-il de l’écriture vocale ?
En lien avec le cheminement intérieur des six protagonistes, les parties chantées exigent une intelligibilité parfaite du texte et des récitatifs. Les personnages sont portés, côté féminin, par les tessitures de soprano léger (Violaine Vercors), soprano dramatique (Mara Vercors) et mezzo-soprano (Élisabeth Vercors, la Mère). Côté masculin, ténor (Pierre de Craon), baryton Martin (Jacques Hury) et baryton-basse (Anne Vercors, le Père) complètent, avec un petit chœur, cette distribution. La singularité de la partition est la convocation troublante de la synthèse sonore de la voix de Claudel, qui intervient parfois dans l’action. J’ai souhaité que cette présence souligne la force littéraire et le message métaphysique de son œuvre. En somme, présenter sur scène un miracle crédible, avec une intensité et une évidence exceptionnelles.
Propos recueillis par MARGUERITE HAKADJIAN