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Phèdre à Karlsruhe

07/02/2025
Ann-Beth Solvang (Phèdre) et Krzysztof Lachman (Hippolyte). © Felix Grünschloß

Badisches Staatstheater, 25 janvier

Faut-il ressusciter les opéras de Jean-Baptiste Lemoyne (1751-1796), compositeur français que Berlioz méprisait, au point d’écrire qu’une telle musique incitait à « s’enfuir comme devant la lèpre ou la peste » ? Certes, Berlioz critiquait beaucoup, mais, en l’occurrence, il détestait surtout Les Prétendus (1789), comédie lyrique de Lemoyne, « rococo, poudrée, galonnée » (sic), encore régulièrement représentée sous l’Empire et la Restauration. En revanche, connaissait-il vraiment Phèdre (1786), tragédie lyrique déjà totalement démodée au XIXe siècle, où elle n’avait plus connu qu’une seule et fugace reprise parisienne, en 1813 ?

Depuis, Phèdre n’a de toute façon jamais reparu, ni à Paris ni ailleurs. Il a fallu l’engagement du Palazzetto Bru Zane pour la ranimer : d’abord en version concertante à Caen (voir O. M. n° 129 p. 41 de juin 2017), puis au disque (voir O. M. n° 181 p. 44 de mai 2020). Mais sur scène ? C’est finalement le Badisches Staatstheater de Karlsruhe qui a relevé le défi. Le premier acte s’avère frustrant : le livret de François-Benoît Hoffmann resserre le texte de Racine (le personnage d’Aricie disparaît), en modernisant un langage classique qui devait déjà paraître vieilli à l’époque, mais les scènes d’exposition, longues et statiques, pèsent. Lemoyne, influencé par Gluck après une formation en Allemagne auprès de Graun, livre une musique parfois maladroite, à commencer par une ouverture bruyante et convenue (déjà critiquée à l’époque pour son excès de timbales !). La direction rigide d’Attilio Cremonesi, imposant un jeu sans vibrato à un orchestre moderne, n’arrange rien. Enchaîner au premier acte la première scène du II – duo interminable entre Phèdre et Œnone – n’aide pas non plus, avant un entracte où on commence à vraiment se poser la question de l’utilité de ce genre d’exhumation.

Mais, en seconde partie de soirée, tout change. Phèdre, fiévreusement incarnée par Ann-Beth Solvang, mezzo-soprano dotée d’un vrai poids dramatique, s’y consume entre trois parois d’ardoise sur lesquelles elle écrit sans fin le nom d’Hippolyte à la craie. Ce dernier, le jeune ténor polonais Krzysztof Lachman, se retrouve paralysé face au gouffre qui s’ouvre tout à coup devant lui. Sa raideur physique paraît alors très crédible, mais malheureusement affecte aussi sa voix, dans un rôle inconfortable et surexposé dans l’aigu. En revanche, le Thésée d’Armin Kolarczyk se révèle idéal dans ce répertoire, en parvenant à maintenir une continuelle tension, même lors des longues phrases périlleuses de son invocation « Neptune, seconde ma rage ». Implacablement, avec une belle efficacité, y compris au cours de récitatifs très intenses, le drame se noue, le metteur en scène Christoph von Bernuth n’ayant plus qu’à souligner l’inexorabilité des situations par quelques gestes plus violents. Une tragédie ponctuée de surcroît de très beaux chœurs, dont une déploration finale d’une remarquable économie de moyens. Donc, oui, cette Phèdre mérite qu’on l’écoute !

LAURENT BARTHEL

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