Grand Théâtre, 30 octobre
Ce Pelléas fait partie des spectacles flamands « invités » par Aviel Cahn pour sa dernière saison en tant que directeur du Grand Théâtre de Genève. Sept ans après sa création à Anvers, force est de constater que l’abondance de biens nuit toujours autant à cette production signée des chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet. En effet, ni la scénographie de Marina Abramović ni les costumes d’Iris van Herpen ne semblent trouver une cohérence fructueuse avec un symbolisme à la sauce cosmique, avec cristaux New Age. Passé au laminoir d’une grammaire chorégraphique et vidéo peu pertinente sur la durée, le spectacle laisse au spectateur le sentiment d’une vaste parenthèse à la fois hétéroclite et ennuyeuse. « Est-ce beau ? Est-ce kitsch ? Peut-être les deux à la fois » se lamentait fort justement Mehdi Mahdavi dans son article en 2018 (voir O. M. n° 137 p. 34).
Premières victimes de cet esthétisme étouffant et stérile, les interprètes peinent à habiter vraiment cet univers glacial. Certains d’entre eux cherchent, dans une forme d’isolement et de concentration sur leurs qualités intrinsèques d’acteurs, un viatique capable de rendre crédible une présence en scène qui confine parfois à une version concertante. On notera également que Mari Eriksmoen et Leigh Melrose (déjà Mélisande et Golaud dans la distribution d’origine) réussissent à faire mentir l’adage selon lequel seuls des chanteurs francophones seraient capables de rendre hommage à la finesse de diction et à la clarté du texte. Mais tout n’est pas idéal pour autant : à commencer par cette façon qu’a le baryton de forcer le trait d’une palette timbrique souvent rugueuse pour donner à Golaud une expressivité volontiers grinçante et tendue qui finit par atténuer la complexité du personnage. Mari Eriksmoen semble quant à elle avoir gagné en densité et en présence. La ligne vocale s’est étoffée et compose une héroïne qui n’est plus un être évanescent mais une femme à la fois mystérieuse et incarnée, traversée par des émotions contradictoires. Nouveau venu dans cette reprise, Björn Bürger prête à Pelléas une lumière juvénile et un art de la nuance remarquables. Son excellence du timbre et de la diction s’ajoute à une expressivité de premier plan. Tout concourt ici à dessiner un personnage sincère et lumineux, dont la candeur contraste avec la Mélisande plus sombre et plus énigmatique d’Eriksmoen. La Geneviève de Sophie Koch peine à trouver un équilibre convaincant entre distance et émotion, soulignant avec excès la résignation douce-amère des inflexions qui émaillent la lecture de la lettre. Nicolas Testé est un Arkel à l’autorité apaisée, avec une profondeur de timbre et une musicalité qui font de lui un modèle de naturel expressif. Saluons l’assise impeccable du Berger et du Médecin de Mark Kurmanbayev ainsi que la fraîcheur de ton et la sincérité irrésistibles de Charlotte Bozzi en Yniold.
À la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Juraj Valčuha déploie des trésors d’invention et de nuances pour envelopper le plateau d’un écrin musical de haute tenue – avec une transparence et une souplesse de son admirables dans la petite harmonie et des cuivres aux couleurs chaudes qui soulignent la richesse d’une partition que le chef slovaque aborde avec précision et poésie. L’équilibre entre texte et orchestre, l’attention portée aux contrastes, la fluidité des transitions et le soin du détail harmonique font émerger un Debussy dramatique et sensuel, d’une intensité continue sans jamais forcer l’effet.
DAVID VERDIER
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