Opéras Peer Gynt à Paris
Opéras

Peer Gynt à Paris

31/03/2025
Bertrand de Roffignac et Raquel Camarinha. © Théâtre du Châtelet/Vahid Amanpour

Théâtre du Châtelet, 7 mars

C’est Ibsen qui, une fois son drame poétique transformé en pièce de théâtre, demanda à Grieg de compléter Peer Gynt d’un véritable pendant musical. Cela participa grandement au succès de la création en 1876, à Christiania (aujourd’hui Oslo). Une décennie plus tard, Grieg réalisait, à partir de 8 des 23 numéros de sa partition, les fameuses Suites, rendant œuvres et auteur impérissables. Depuis, cette musique fait partie de ces œuvres qui restent en mémoire, toujours prêtes à réenchanter. En revanche, l’intégrale de la partition, plus rarement jouée encore que l’immense pièce, demeure une rareté. Car, comme pour tant d’œuvres hybrides – les semi-opéras de Purcell, l’-Ariadne auf Naxos première version de Strauss et Hofmannsthal –, faire aller de concert théâtre et musique est une vraie gageure. Non que les affinités soient impossibles, mais les systèmes théâtral et musical, leurs publics même qui souvent ne partagent pas les mêmes affinités, ont fait qu’au fil du temps, les deux Peer Gynt sont devenus indépendants. Même Patrice Chéreau, pour sa mémorable production du TNP de Villeurbanne, en 1991, ou Éric Ruf à la Comédie-Française en 2012, préférèrent jouer d’une partition écrite à leur main. 

On salue donc Olivier Py, qui offre les retrouvailles rarissimes des deux co-auteurs, une première à Paris. Le texte, il l’a traduit de l’anglais, et adapté, modernisé, parfois un peu trop, pour qu’il nous parle aussi de notre temps, le réduisant ainsi des sept heures d’origine à trois heures quarante de tension, de violence, de respiration, d’éblouissement, de théâtre vrai, et toujours démesuré. Unifiant la disparate de l’œuvre, il offre d’abord au jeu d’acteurs sa part vertigineuse, tout en jouant le conte grandiloquent, absurde, scotchant, et finalement attachant. Si la troupe – ils sont 14 à se partager les quelque 70 personnages – porte à l’enthousiasme, c’est bien Bertrand de Roffignac, ludion magnétique, incontournable, qui marque le spectacle. Contraste absolu avec le souvenir de Gérard Desarthe, au romantisme noir intériorisé, son Peer, le paumé, le menteur, a tout d’un ravagé contemporain avec sa rage, sa folie, sa morgue, et finalement sa fin apaisée. Et comment résister à Céline Chéenne, qui fait vibrer comme Maria Casarès, quand tout est noir dans ce Monde signé, avec force, Pierre-André Weitz et illuminé par Bertrand Billy. 

La part musicale ne se laisse pas pour autant écraser par le théâtre, superbement assurée par l’Orchestre de Chambre de Paris et dirigée par l’Estonienne Anu Tali, pleine de tendresse, de grâce, d’énergie aussi, de lumière surtout. On les a placés en fond de scène, on a craint le pire, mais aussitôt un relief s’impose, avec une émotion palpable et cette variété qui parcourt ces numéros pour certains rabâchés (« Dans l’Antre du Roi de la montagne », le célébrissime « Au matin », « La Mort d’Aase »), pour d’autres, connus seulement par le disque. Merveille d’intégration qui n’est jamais rupture du discours. Reste à faire jouer les chanteurs, et plus difficile encore, les faire parler. Réussite totale. Raquel Camarinha, superbe Solveig, incarnation d’amour absolu, Clémentine Bourgoin, Anitra haut perchée, Damien Bigourdan impressionnant, Lucie Peyramaure, Ingrid séduite et délaissée, et les autres, capables de faire chœur pour le prenant « Psaume de Pentecôte », sont admirables. Une formidable réussite.

PIERRE FLINOIS

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