Opera Vlaanderen, 21 septembre
Deux ans après un brillant Einstein on the Beach présenté sous la grande halle de la Villette pour l’édition 2023 du Festival d’automne à Paris, la metteuse en scène Susanne Kennedy et l’artiste plasticien Markus Selg font leurs débuts à l’Opéra Vlaanderen avec un Parsifal en forme de rituel immobile dont l’œcuménisme fourre-tout finit par manquer sa cible. Sur de vastes écrans défilent en boucle des vidéos New Age produites par l’intelligence artificielle, motifs symboliques faisant de la terre, du feu et de l’eau les éléments d’introduction de chaque acte et déployant à l’arrière-plan de Montsalvat des paysages virtuels où se mêlent monolithes, débris d’armures jonchant un champ de bataille ou bien une impressionnante forêt en flammes entourant et protégeant le jardin des Filles-Fleurs comme le feu autour du rocher de Brünnhilde. Ressassées jusqu’à l’épuisement visuel, ces visions surlignent un paganisme dont l’illisibilité assumée plonge le spectateur dans un abîme stroboscopique sans fin. Au centre d’une scène encombrée d’écrans et d’artéfacts aussi improbables que des jerrycans d’essence et des statues non identifiables, Parsifal médite dans une grotte aux parois géométriques. Cette allusion explicite renvoie aux épreuves intérieures du « chaste fol » qui prélude à la révélation spirituelle à la manière du Bouddha (« l’éveillé ») – personnage qui passionnait Wagner à la fin de sa vie, au point d’en esquisser un sujet d’opéra intitulé Die Sieger (Les Vainqueurs).
Une direction d’acteurs aux abonnés absents réduit les protagonistes et le chœur à la fonction de blocs ou d’éléments purement picturaux dont le moindre déplacement fait l’effet d’un événement. De fait, la soirée se tient à la lisière entre une version de concert vaguement mise en espace sur fond de fresque vidéo rehaussée d’une galerie de costumes hors d’âge. L’apothéose survient avec ce Parsifal en toge, l’air béat et la tête couronnée d’un improbable casque doré, s’élevant vers les cintres dominés par la reproduction grand format de ce qu’on peut identifier à la fois comme la blessure d’Amfortas et la lance sacrée qui l’a provoquée.
Le plateau vocal apporte paradoxalement une forme de cohérence à cette esthétique erratique et bigarrée, à commencer comme Kartal Karagedik qui tente d’impulser à son roi maudit une urgence et une incarnation que semble lui refuser la mise en scène. La projection est sonore et puissante, d’une densité qui séduit sur toute l’étendue des registres quand, face à lui, le Gurnemanz d’Albert Dohmen n’a guère à offrir qu’une ligne rugueuse et contrite, dont l’impact resserré ne permet pas de sublimer la véritable dimension de l’« Enchantement du Vendredi saint ». La mezzo-soprano Dshamilja Kaiser réussit brillamment ses débuts en Kundry, puisant dans ses ressources pour camper un personnage entre séductrice et victime sacrificielle, avec un art du phrasé qui s’appuie sur une gamme de nuances et de détails remarquable.
On passera sur des Filles-Fleurs dépareillés et le Titurel de Tijl Faveyts qui l’emporte sur un Werner Van Mechelen assez nerveux et instable en Klingsor, pour s’intéresser au rôle-titre tenu par le jeune Christopher Sokolowski. Appelé trois semaines seulement avant la première, le ténor américain campe un Parsifal qui gagne progressivement en autorité, domestiquant quelques tensions dans l’aigu pour faire entendre au dernier acte des qualités de timbre et d’endurance très prometteuses.
À la fois puissante et nuancée, la direction d’Alejo Pérez contourne l’obstacle d’une acoustique trop peu réverbérante pour donner aux ensembles la vigueur et l’impact émotionnel qu’ils nécessitent. Le geste détaille et soutient le plateau en privilégiant un drame aux lignes nettes et pures, débarrassées de tout mysticisme émollient.
DAVID VERDIER
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