Oper, 19 juin
On doit à Johannes Leiacker, 75 ans aujourd’hui, les décors de l’une des plus laides productions de Parsifal dont on se souvienne : un ratage signé Peter Konwitschny qui a encombré le répertoire du Bayerische Staatsoper de Munich pendant plus d’un quart de siècle. On n’attendait donc pas forcément mieux de cette présente collaboration avec Brigitte Fassbaender à Francfort, où l’on ne trouve guère, de fait, de motif visuel à s’extasier. Un énième avatar de salon lambrissé et tapissé de tissu, dans la droite ligne, avec sa haute double porte de chaque côté, des espaces cossus anonymes que Leiacker conçoit d’habitude pour Christof Loy, mais, dans le mur au centre, une excavation rocheuse béante, aux allures de trou d’obus. Au I et au III, cette sorte d’alcôve (une plaie ?) abrite un calice géant, ou encore, au II, une réplique de la grotte du château de Linderhof, l’une des féeries wagnériennes kitsch léguées par Louis II de Bavière. Pour les scènes de forêt, deux murs noirs en perspective fortement fuyante, de part et d’autre d’une reproduction grand format de l’un des Bras de Seine près de Giverny de Claude Monet. Lors des interludes dits de « transformation », il suffit de faire tourner la scène d’un tiers. Et puis, c’est tout !
Des espaces fonctionnels donc, mais une production sans grand intérêt, à laquelle Brigitte Fassbaender apporte heureusement quelques touches plus subtiles. Certes, on ne comprend pas trop la finalité de la communauté du Graal, sorte d’établissement éducatif exclusivement masculin du siècle dernier où cohabitent plusieurs générations, dont quelques enfants à l’évidence maltraités, ni le motif de bizarres velléités de désacralisation – on distribue des bretzels lors de la cérémonie du I, et des verres de mousseux à la fin du III. Mais le projet porte néanmoins la marque d’une véritable sensibilité, avec une série captivante de confrontations directes, Gurnemanz face à Parsifal, Amfortas face à Titurel (qui arrive sur scène en déambulateur), Klingsor face à Kundry, Kundry face à Parsifal… À chaque fois, un jeu d’acteur intense, nourri par une compréhension intime des enjeux du livret. Jolie scène de Filles-Fleurs aussi, toutes en robes de mariée différentes, et aux tentatives de séduction élégamment chorégraphiées. De quoi relever le niveau d’un travail qui alterne cependant avec trop d’imprévisibilité les moments forts et les passages énigmatiques.
En fosse, Thomas Guggeis dirige son premier Parsifal et ne convainc guère, en particulier lors de Préludes des actes I et III, à l’agogique incohérente. Une direction rapide au chronomètre mais surtout survolée, qui trébuche de temps à autre sur des césures bizarres, voire gère mal ses dynamiques, en commençant ses progressions en général trop fort. Un résultat éventuellement prometteur pour un jeune « Erster Kapellmeister » dans un théâtre allemand de seconde zone, mais plus difficile à admettre de la part d’un « Generalmusikdirektor » à la tête de l’un des meilleurs orchestres de théâtre outre-Rhin : ce Frankfurter Opern- und Museumsorchester qui pouvait se montrer enchanteur quand il était dirigé par Sebastian Weigle, son directeur musical précédent, mais qui ici l’est moins, tout en gardant encore, heureusement, quelques belles qualités instrumentales.
Subsiste l’excellent niveau d’une troupe richement dotée. Somptueux Gurnemanz d’Andreas Bauer Kanabas ; attachant Amfortas, à la forte projection émotionnelle, de Nicholas Brownlee ; parfait Titurel, noble et pas décati, d’Alfred Reiter ; séduisant Klingsor d’Iain MacNeil, physiquement presque un double de Parsifal, à la voix dans l’absolu trop belle et claire pour le rôle. Du côté tessitures graves masculines, donc, tout le monde est remarquable. Seuls chanteurs invités, Parsifal et Kundry sont plus atypiques, mais non moins intéressants. Hier encore distribué régulièrement en Idomeneo chez Mozart, l’Américain Ian Koziara paraît en pleine mutation, avec une voix claire qui franchit bien l’orchestre et une belle endurance. Son physique de héros blond diaphane, un peu ébahi, convient idéalement au rôle. Sa compatriote Jennifer Holloway lui est bien assortie : une Kundry soprano, à l’aise dans l’aigu, diseuse raffinée et bonne actrice, qui met en œuvre tout son potentiel de séduction au II. Moins un archétype fatal, faute de raucité tragique, que simplement une très belle et directe incarnation féminine, avec laquelle Amfortas s’éclipse d’ailleurs à la fin, bras dessus, bras dessous, en abandonnant Parsifal, qui reste songeur dans sa communauté étrange, à sabler le mousseux.
LAURENT BARTHEL