Palazzo Ducale, 27 juillet
Depuis sa fondation en 1975, le Festival della Valle d’Itria s’est surtout illustré dans la redécouverte d’œuvres oubliées, principalement du répertoire belcantiste et romantique. Voilà pourquoi le deuxième titre à l’affiche cette année tient presque de la révolution. Créé en 1971 pour la BBC, Owen Wingrave restait à ce jour le seul opéra de Britten jamais donné en Italie. Qui plus est, une partition en parfaite résonance avec le thème que la nouvelle directrice artistique, Silvia Colasanti, a choisi pour cette édition : célébrer la paix, contre toute forme de guerre. Tiré d’une nouvelle d’Henry James, le livret de Myfanwy Piper pousse une histoire de fantômes vers le manifeste antimilitariste. Une mise en scène trop fidèle à la lettre pourrait s’égarer dans un didactisme appuyé ; heureusement, ce n’est pas le cas ici. Andrea De Rosa traite le sujet avec finesse psychologique et intensité dramatique, reléguant presque au second plan le manichéisme naïf du texte.
Dès la première scène, on comprend que l’omniprésente galerie de tableaux, avec des cibles de tir à la place des portraits d’ancêtres, ne signifie pas seulement le refus d’une logique militaire qui efface des vies innocentes derrière ses objectifs prétendument neutres. Il s’agit avant tout de rupture avec un héritage familial oppressif, d’affirmation de soi, du coût personnel de la dissidence. D’où ce dispositif scénique fait de cages métalliques modulables qui se déplacent et se referment autour du héros, figurant tour à tour la caserne, l’appartement de Coyle ou le château familial. Un décor mouvant et claustrophobique, qui matérialise l’enfermement mental d’Owen et l’hostilité croissante d’une famille intolérante à la moindre faiblesse ou contestation.
Mais la réussite du spectacle tient surtout à une direction d’acteurs pertinente et millimétrée. Dans le rôle-titre, Äneas Humm impressionne par l’intelligence de sa parabole dramatique : de la fragilité initiale à la fermeté, jusqu’à l’éloquence fiévreuse, hallucinée du monologue final, sommet d’un vertige psychologique qui nous saisit à la gorge. Le reste de la distribution brille par son équilibre et sa parfaite cohésion : de Ruairi Bowen, Lechmere impulsif et plein d’éclat, à Sharon Carty, qui offre à Kate une séduction d’autant plus perfide qu’elle est mêlée de colère. Si Charlotte-Anne Shipley et Chiara Boccabella se complètent à merveille en Mrs Wingrave et Mrs Julian, Kristian Lindroos et Lucía Peregrino forment un couple Coyle touchant, unique vecteur de compassion autour du héros. En Sir Philip, Simone Fenotti incarne avec une raideur quasi caricaturale l’obstination de toute une lignée militaire. Le Narrateur subtil de Chenghai Bao suspend le temps dans une atmosphère surnaturelle par sa ballade, chantée au début et à la fin du II depuis le parterre et reprise en écho par l’excellent chœur d’enfants de la Fondazione Paolo Grassi.
Dans la fosse, Daniel Cohen dirige les jeunes musiciens de l’Accademia Teatro alla Scala avec une clarté et une précision admirables. Sa lecture incisive mais jamais sèche ni précipitée met en lumière la densité labyrinthique de la partition, ses rythmes hachés, ses harmonies âpres ou crépusculaires, et cette poésie désespérée de la solitude qui la traverse de bout en bout. Tout concourt au bonheur du public, qui salue ce pari audacieux avec une vague d’ovations. Preuve qu’un festival à l’identité marquée peut explorer de nouvelles pistes sans se renier.
PAOLO PIRO