Opéras Otello dans l’air du temps à Pesaro
Opéras

Otello dans l’air du temps à Pesaro

29/08/2022
© Amati Bacciardi

Vitrifrigo Arena, 11 août

Pour Rosetta Cucchi, le meurtre de Desdemona est ce que l’on appelle, aujourd’hui, un « féminicide », et elle en fait, dès l’Ouverture, le concept de base de sa mise en scène. L’intention militante se révèle pleinement, au finale de l’acte II, avec l’apparition d’un ensemble de femmes victimes de maltraitance, de toutes origines sociales, tandis que Desdemona se confronte à la brutalité des deux rivaux en amour, Otello et Rodrigo.

La violence que l’héroïne subit de la part des hommes – son père (Elmiro) la gifle, à l’acte I, son soupirant (Rodrigo) la rudoie et son époux (Otello) lui donne un terrible coup de poing, à l’acte II – n’est plus seulement synonyme d’oppression psychologique. Concrète et physique, elle ne peut logiquement s’achever que par un crime.

Ce parti pris, avouons-le, se révèle un peu réducteur, ramenant l’ouvrage au niveau d’un simple fait divers, comparable, hélas, à tant d’autres. Jago perd aussi de son épaisseur et se trouve réduit à l’affreux traître ricanant que nous montre la vidéo, utilisée, par ailleurs, pour expliquer les arrière-plans biographiques qui ont façonné la personnalité des deux époux.

La transposition dans un univers contemporain fait d’Otello un brillant officier aux origines populaires, sorti du rang et détesté dans les cercles du pouvoir, évitant ainsi l’idée du racisme et l’écueil du « blackface ». L’option et le traitement esthétique rappellent la production zurichoise de Patrice Caurier et Moshe Leiser, en 2012, vue ensuite au Théâtre des Champs-Élysées, mais ici, plus qu’une fille révoltée contre la domination paternelle, Desdemona reste une victime, isolée et prise dans ses contradictions, appelant ses propres bourreaux à la sortir de sa détresse.

L’histoire récente d’Otello au Festival est marquée par l’extraordinaire rencontre au sommet de Gregory Kunde (Otello) et Juan Diego Florez (Rodrigo), en 2007, dans la production de Giancarlo Del Monaco. Mais il faut reconnaître qu’Enea Scala et Dmitry Korchak se montrent à la hauteur des exigences de leurs rôles, dans un registre différent.

Enea Scala possède une belle assise dans le grave et le médium, une technique éprouvée, mais son émission puissante paraît toujours un peu forcée dans le haut du registre et, surtout, reste trop uniforme. Il donne toutefois à son Otello, tourmenté et peu sûr de lui, toute l’épaisseur psychologique qu’il réclame.

Plus corsé de timbre qu’à l’ordinaire dans le rôle, avec un aigu assez métallique, mais une grande virtuosité, Dmitry Korchak apporte à Rodrigo une virilité impressionnante, qui répond bien à la conception de la mise en scène et en fait un égal du protagoniste.

Un peu en retrait, le Jago d’Antonino Siragusa est pourtant bien chantant. Plus intéressante, la figure d’Emilia est fort bien incarnée par Adriana Di Paola, qui souffre malheureusement de quelques problèmes de justesse.

Eleonora Buratto se révèle une Desdemona d’envergure, tant par la technique que par l’ampleur du matériau vocal, mais elle met un peu de temps à s’engager dans son personnage. La soprano italienne offre une performance particulièrement impressionnante dans les écarts de registre de sa grande scène du II, ainsi que dans son affrontement avec Otello, à l’écriture caractéristique des rôles conçus pour Isabella Colbran.

Comprimari, chœur (Coro del Teatro Ventidio Basso) et orchestre (Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI), menés de main de maître par Yves Abel, portent cette production, efficace et très dans l’air du temps, à un succès presque sans partage.

ALFRED CARON


© Amati Bacciardi

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