Opéras Otello à Strasbourg
Opéras

Otello à Strasbourg

16/11/2025
Adriana González, Mikheil Sheshaberidze et Daniel Miroslaw. © Klara Beck

Opéra, 9 novembre

Juste après l’annonce de la nomination de Ted Huffman comme directeur artistique du Festival d’Aix-en-Provence, on aura pu découvrir à l’Opéra National du Rhin sa mise en scène d’Otello de Verdi. Fidèle à son esthétique se réclamant du théâtre élisabéthain, il conçoit un espace scénique nu : deux cloisons, trois portes, quelques chaises, et de subtils jeux de lumières pourvoient au tout. Ainsi la tempête initiale ne se lit-elle que dans les yeux de la foule assemblée, face public, et les scènes d’apparat se jouent loin de la splendeur du palais vénitien attendu. Mais pareil minimalisme aurait mérité d’être défendu par un jeu théâtral plus poussé : faire chanter leur grand duo d’amour à Desdemona et Otello assis côte à côte n’aide guère à ressentir la tension charnelle de leur relation, ni le cadre poétique offert par une nature complice de leur idylle.

On s’étonne aussi qu’un homme de théâtre aussi affûté qu’Huffman puisse, à la fin du III, montrer l’héroïne, normalement jetée à terre par Otello fou furieux, ici tranquillement rassise pour entonner « A terra!… Sì nel livido fango… percossa… io giacio ». Et n’est-ce pas psychologiser à tort que de donner pour cadre au dernier acte non la chambre à coucher de Desdemona, mais la même salle de bal, sous prétexte qu’elle se sentirait plus en sécurité dans un espace public ? En plus d’aller contre la volonté de Shakespeare, n’est-ce pas ignorer l’importance pour Otello de donner pour cadre au meurtre de son épouse le lieu même de leurs amours ? Et ne pas voir dans l’étranglement un prolongement de leurs tendres étreintes, ce que ne saurait traduire le banal recours à un pistolet ?

Heureusement, le drame et le théâtre sont très lisibles et audibles dans la direction aussi puissante que précise d’une Speranza Scappucci très inspirée à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg de haut vol, et des Chœurs de l’Opéra National du Rhin et de l’Opéra National de Nancy-Lorraine réunis pour l’occasion (le spectacle est une coproduction de ces théâtres, et aussi de celui de Luxembourg), pour un résultat sonore fort convaincant. 

Remplaçant un peu en dernière minute le ténor afro-américain Issachah Savage, Mikheil Sheshaberidze assure le rôle-titre avec efficacité et endurance, mais sans éclat particulier : la voix est solide, le souci des nuances louable, mais le grave sonne un peu faible et l’aigu pas toujours aisé dans le forte (« Esultate! ») comme dans le piano (« Niun mi tema »), parfois à la limite de l’étranglement, et l’acteur se montre bien maladroit. Le Iago de Daniel Miroslaw est au contraire d’une crédibilité physique et scénique totale, à une silhouette en lame de couteau répondant un chant nuancé, insidieux à souhait, qui compense par l’intelligence du verbe ce que la nature lui refuse en ampleur. Adriana González n’a aucun mal à s’imposer comme l’élément le plus brillant du plateau, sa Desdemona marquant par la vertu d’un soprano riche et moelleux, à l’appréciable réserve de puissance dans les moments les plus dramatiques, mais qui sait aussi parsemer sa ligne châtiée d’irrésistibles aigus filés. Une splendeur vocale et technique rare qui n’exclut jamais la vérité théâtrale ni une grande authenticité d’émotion. Le plateau est complété par un Cassio fort joli en scène (Joel Prieto) mais plus banal vocalement, et le Lodovico sonore de Jasurbek Khaydarov. Issus de l’Opéra Studio se font remarquer le mezzo chaud de Brigitta Listra (Emilia), le baryton mordant de Massimo Frigato (Roderigo) et, dans la même tessiture, le solide Montano de Thomas Chenhall.

THIERRY GUYENNE

Mikheil Sheshaberidze (Otello)
Daniel Miroslaw (Iago)
Joel Prieto (Cassio)
Massimo Frigato (Roderigo)
Jasurbek Khaydarov (Lodovico)
Adriana González (Desdemona)
Brigitta Listra (Emilia)
Speranza Scappucci (dm)
Ted Huffman (ms/d)
Astrid Klein (c)
Bertrand Couderc (l)

.

Pour aller plus loin dans la lecture

Opéras Boris Godounov à Francfort

Boris Godounov à Francfort

Opéras Ein deutsches Requiem à Rouen

Ein deutsches Requiem à Rouen

Opéras Il trittico à Houston

Il trittico à Houston