Opéras Otello à Parme
Opéras

Otello à Parme

28/10/2025
Yusif Eyvazov, Ariunbaatar Ganbaatar, Francesco Pittari, Mariangela Sicilia et Natalia Gavrilan. © Roberto Ricci

Teatro Regio, 5 octobre

Pour cette nouvelle production d’Otello, Roberto Abbado a choisi la version originale de 1887, s’appuyant sur l’édition critique préparée par Linda Fairtile, récemment publiée par Ricordi et The University of Chicago Press. Cette version exclut le ballet ainsi que les retouches apportées au concertato du troisième acte pour la création parisienne de 1894. Le chef milanais navigue avec maîtrise entre déchaînements orageux et moments d’intimité méditative, et propose une lecture dramatiquement habitée, marquée par une forte polarité des contrastes, tout en veillant à soutenir les voix et à préserver l’équilibre entre fosse et scène. La Filarmonica Arturo Toscanini fait entendre un son souple et homogène, dans lequel chaque détail se détache avec une clarté remarquable.

Appelé à remplacer au pied levé Fabio Sartori souffrant, Yusif Eyvazov affronte sans grande peine les aspérités du rôle d’Otello ; son timbre, bien que peu flatteur, conserve un registre aigu solide et percutant. Sur le plan interprétatif, le ténor azerbaïdjanais ne s’écarte que rarement de l’image d’un maure brutal et emporté, héritée d’une tradition qui a déformé le personnage imaginé par Verdi en le réduisant à un forcené violent et impulsif et négligeant son côté fragile et tourmenté, qui s’exprime à travers un phrasé vocal nuancé, comme il ressort clairement des signes d’expression dont la partition est parsemée. Face à lui, Ariunbaatar Ganbaatar impose un Iago au timbre dense, granitique et parfaitement maîtrisé. Sa sobriété éloigne son interprétation des clichés du rôle sinistre et tonitruant. L’attention portée à la ligne vocale, l’articulation italienne globalement sûre et une présence scénique à la fois sombre et insaisissable lui permettent d’incarner un Iago subtilement manipulateur et faussement rassurant, même si l’on peut regretter l’absence de cette veine joviale et affable qui caractérise également le personnage : ce « prêtre honnête », hypocrite mais séduisant, que Verdi avait imaginé.

La voix à la fois lumineuse et veloutée de Mariangela Sicilia se déploie en amples arcs mélodiques tendus vers des aigus éclatants ou des pianissimi éthérés, avec une souplesse soyeuse et d’une aisance confondante. Son expressivité, d’une simplicité spontanée, et son chant, poli et intensément vécu, se distinguent par une force expressive admirable. Bref, une Desdemona mémorable. Dans l’ensemble, la distribution des seconds rôles est satisfaisante, avec une mention pour l’excellent Cassio de Davide Tuscano. Le chœur maison, préparé par Martino Faggiani, brille par sa cohésion et sa justesse rythmique, rendant pleinement justice aux nombreux passages où il est sollicité.

Selon les notes de mise en scène figurant dans le programme de salle, la scène représente « le noir magmatique et nocturne de l’inconscient ». Ce dispositif minimaliste, éclairé par des lumières froides et tranchantes, et peuplé des corps des chanteurs et de rares objets scéniques – des rideaux rouges, des vitrines contenant des fleurs ou des répliques d’animaux – se nourrit de références intellectuelles : Freud, Strindberg, certaines suggestions ibséniennes (comme l’exiguë chambre à coucher d’Otello et Desdemona, sorte de boîte où se déroule l’intégralité de l’acte final), voire un clin d’œil à Pasolini.

Il s’agit toutefois de stimuli conceptuels qui, le plus souvent, ne parviennent pas au spectateur, à qui reste finalement une mise en scène esthétiquement sobre, caractérisée par une direction des acteurs généralement soignée mais aux résultats inégaux. Les costumes, oscillant dans le temps et les styles, refusent tout ancrage historique précis, accentuant l’effet intemporel de la production. En définitive, même si le spectacle repose sur un indéniable savoir-faire théâtral, il laisse sur sa faim en termes d’exploration psychologique des personnages.

PAOLO DI FELICE

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