Philharmonie, Grande Salle, 20 février
On représente régulièrement l’Orfeo ed Euridice original de Gluck, en italien (Vienne, 1762) ; on connaît bien la version que mit au point Berlioz, en 1859, pour Pauline Viardot. On a moins souvent l’occasion d’entendre l’Orphée et Eurydice qu’élabora le compositeur, en français, et qui fut créé, le 2 août 1774, à l’Académie Royale de Musique.
Sans doute est-il plus difficile, aujourd’hui, de trouver un ténor qui puisse aborder, avec bonheur, le rôle d’Orphée. C’est, précisément, cette version parisienne que Les Arts Florissants (chœur et orchestre) ont cependant choisie, à la Philharmonie, sous la baguette de Paul Agnew, codirecteur – avec William Christie – de l’ensemble.
Il est difficile, évidemment, de se faire une idée du timbre de Joseph Legros (1739-1793), mais on sait que sa voix et sa technique de haute-contre lui permettaient d’atteindre, sans douleur, les notes les plus élevées. Le ténor belge Reinoud Van Mechelen est un fin musicien, et son incarnation est pleine de cette tendresse, mais aussi de cette énergie, qui font que ses lamentations ne confinent jamais au larmoiement. Mais la tessiture d’Orphée reste trop tendue pour lui, et on ne retrouve pas ici cette impression aérienne qu’il avait laissée, en octobre 2022, dans le rôle de Zoroastre, au Théâtre des Champs-Élysées.
Les vocalises de son air « L’espoir renaît dans mon âme » n’ont pas cette ivresse et cette liberté qu’on aimerait voir à l’œuvre, et Reinoud Van Mechelen convainc davantage dans les moments élégiaques, où son sens raffiné de la déclamation fait merveille, mais aussi dans la poignante confrontation avec Eurydice, au début de l’acte III. Et puisqu’il s’agit d’une version en français, on ajoutera que deux ou trois liaisons entre les mots auraient gagné à être davantage soignées.
La soprano portugaise Ana Vieira Leite a fait ses premières armes dans le cadre du « Jardin des Voix », l’académie baroque des Arts Florissants pour les jeunes chanteurs. Elle interprète une Eurydice irréprochable, dont la réserve est bien celle du personnage, tel que l’a conçu Gluck. Il y a plus d’espièglerie chez l’Amour de la soprano française Julie Roset, qui se fait toutefois couvrir par l’orchestre.
La Philharmonie de Paris n’est pas précisément adaptée à ce type d’ouvrage, qui s’épanouirait davantage dans une salle aux dimensions plus réduites. L’orchestre, que Paul Agnew dirige avec un grand sens des plans sonores, est un peu perdu dans ce vaste espace, et la dynamique s’en ressent. La flûte, le hautbois surtout, se font clairement entendre, mais les tutti ont quelque chose de lointain, alors qu’on devine des couleurs crues dans les cors et les trombones qui, faute de présence, effraient peu.
Le chœur est, lui aussi, parfaitement mis en place, avec un beau et troublant tuilage des voix dans « Il est vainqueur ». Mais l’ensemble aurait gagné en feu et en relief, encore une fois, dans d’autres conditions acoustiques.
CHRISTIAN WASSELIN