Metropolitan Opera, 4 janvier
Le Met avait-il besoin d’une nouvelle production de Fedora ? Depuis sa création in loco, le 5 décembre 1906, avec rien moins que Lina Cavalieri et Enrico Caruso dans les rôles principaux, l’opéra de Giordano n’a certes pas encombré les affiches de la maison : la trente-cinquième et dernière représentation a eu lieu le 1er mai 1997, avec Mirella Freni et Fabio Armiliato (succédant à Placido Domingo).
Mais on aurait préféré voir, à sa place, l’un de ces titres que l’institution new-yorkaise n’a jamais programmés (Mitridate, Moïse et Pharaon, I masnadieri, I due Foscari, Der Zwerg, Daphne…), ou s’obstine à ne pas reprendre depuis plus d’un siècle (Armide de Gluck, Robert le Diable, Mireille, Ariane et Barbe-Bleue, Lucrezia Borgia…).
Non que Fedora soit sans mérite. La partition, même si elle n’a vraiment à offrir que deux mélodies, réserve quelques beaux moments. Le livret d’Arturo Colautti, en revanche, d’après la pièce de Victorien Sardou, peine à convaincre, encombré de trop de missives, télégrammes et soudaines variations d’humeur.
Le Met avait-il, d’autre part, besoin d’une treizième (!) nouvelle mise en scène de David McVicar ? Moins spartiate et laide que certaines de ses dernières réalisations in loco, elle se contente de suivre les didascalies du livret, sauf quand elle décide d’introduire un figurant incarnant Vladimiro, le fiancé assassiné de l’héroïne, dont on parle souvent, mais qu’on n’est pas censé voir.
Très mauvaise idée, surtout quand le fantôme se met à valser avec Fedora sur la mélodie d’« Amor ti vieta », le célébrissime air de Loris. Ce choix absurde confirme deux choses que l’on savait déjà : David McVicar est incapable de résister à la tentation de privilégier l’effet visuel, au détriment du sens musical ; et Peter Gelb ne peut pas concevoir, dans la perspective des retransmissions dans les cinémas (« The Met : Live in HD »), qu’un passage orchestral ne soit pas dansé.
Les décors enferment l’action, avec des couleurs vives qui sonnent faux, comme si leur auteur, Charles Edwards, manquait de confiance – la référence, revendiquée, à Downton Abbey est un indice qui ne trompe pas. In fine, ce sont les trois somptueuses robes de l’héroïne, dessinées par Brigitte Reiffenstuel, qui attirent le plus le regard, d’autant que Sonya Yoncheva les porte divinement.
Depuis ses débuts au Met, en 2013, la soprano bulgare a offert au public quelques créations de grand relief : Mimi (La Bohème), Desdemona (Otello), Violetta Valéry (La traviata) et Luisa Miller. Tosca, en 2017, appelait davantage de réserves sur le plan vocal, comme Élisabeth de Valois (Don Carlos), la saison dernière. Son incarnation de Fedora, accueillie de façon mitigée lors de sa prise de rôle, à la Scala de Milan, en octobre dernier (voir O. M. n° 188 p. 55 de décembre-janvier 2022-2023), n’a rien de honteux, mais il serait difficile de la qualifier de marquante.
Sonya Yoncheva, d’abord, tend à se réfugier dans des poses étudiées, en se contentant de traverser la scène de part en part. Elle ne s’appuie pas suffisamment, ensuite, sur le texte pour caractériser son personnage. Elle force, enfin, beaucoup trop sur le vibrato pendant les deux premiers actes, en poitrinant artificiellement le bas médium et le grave. Du coup, elle sonne plus âgée que ses 41 ans, malgré les magnifiques demi-teintes qu’elle déploie, au III.
Piotr Beczala, de quinze ans son aîné, paraît presque plus jeune qu’elle, Loris de belle prestance et d’une irrésistible ardeur dans l’accent. La technique demeure impressionnante ; le timbre, en revanche, s’est définitivement assombri, à force de fréquenter un répertoire plus dramatique. Manque, dès lors, le brillant indispensable à certains moments, même si le ténor polonais conduit nettement mieux que sa partenaire leurs éprouvants duos.
Rosa Feola apporte à Olga le timbre le plus italien de toute la distribution, chantant et jouant avec esprit. Quant à Lucas Meachem, remplaçant Artur Rucinski, souffrant, il apporte une grâce bienvenue à De Siriex.
Les nombreux rôles de comprimari ne sont pas tous impeccablement tenus, car les artistes choisis sont souvent trop jeunes pour brosser, en quelques phrases, des personnages qui font mouche. On retiendra, tout de même, le baryton-basse Paul Corona et la mezzo-soprano Laura Krumm.
Au pupitre, Marco Armiliato prouve tout son amour pour la partition et sa parfaite compréhension du style dont elle relève. L’orchestre du Met, en revanche, n’est pas au meilleur de sa forme, dans une musique qui, il faut le reconnaître, ne lui offre rien de vraiment passionnant à se mettre sous la dent.
DAVID SHENGOLD