Opéras Nixon et Mao jouent au ping-pong à Paris
Opéras

Nixon et Mao jouent au ping-pong à Paris

31/03/2023
© Opéra National de Paris/Elena Bauer

Opéra Bastille, 25 mars

L’entrée de Nixon in China, au répertoire de l’Opéra National de Paris, n’est sans doute pas étrangère à la présence au poste de directeur musical de Gustavo Dudamel, devenu, en quelques années, un spécialiste de la musique de John Adams (né en 1947), depuis son passage au Los Angeles Philharmonic. Créée à Houston, en 1987, l’œuvre, qui relate la visite historique du président américain à Pékin, en février 1972, a été vue à Bobigny, en 1991, dans la mise en scène originale de Peter Sellars, puis au Théâtre du Châtelet, en 2012.

Entre protocole et diplomatie, démonstration de force et domination, pouvoir et manipulation des deux camps adverses, Valentina Carrasco a souhaité traiter ce sujet à l’aune du sport et, en l’occurrence, du ping-pong. Car, assez curieusement, un an avant ce premier voyage officiel, l’équipe nationale américaine de tennis de table avait répondu à l’invitation de celle de Chine. Les joueurs, qui ne devaient pas s’adresser la parole, s’étaient finalement rapprochés et congratulés, métaphore idéale pour retracer une rencontre sino-américaine au sommet, douze mois plus tard, où l’on s’affronte autour d’une table, se renvoie la balle et les responsabilités.

Du Prélude, pendant lequel une partie est mimée, jusqu’au tableau final, où les couples Nixon, d’un côté, et Mao, de l’autre, évoluent entre un amoncellement de tables, en passant par la réception entièrement donnée dans un gymnase, tout tourne ainsi autour du sport. Très à l’aise dans les scènes de foule, traitées comme de gigantesques parades ou revues, au cours desquelles chacun trouve miraculeusement sa place, Valentina Carrasco parvient également à trouver l’équilibre, pourtant instable, dans les moments plus intimes.

Sur ce plan, la scène 2 de l’acte I, dans la bibliothèque de Mao, est une réussite. Alors que le Grand Timonier reçoit Richard Nixon et s’exprime en aphorismes obscurs, Henry Kissinger découvre que les livres rangés sur les rayonnages sont faux, tandis que sous leurs pieds (le décor est divisé en deux horizontalement), dans de sordides sous-sols, des gardes rouges brûlent les ouvrages et torturent les intellectuels arrêtés. Mensonges, dissimulation, propagande, la Chine, alors en pleine révolution culturelle, ne recule devant rien pour montrer à l’Amérique les bienfaits de sa politique…

En plus de cette imposante scénographie, signée Carles Berga et Peter van Praet – ce dernier également responsable de magnifiques lumières –, quantité d’images d’archives viennent émailler le dispositif : les visages de Nixon, de sa femme Pat et de son secrétaire d’État semblent pleinement satisfaits de l’accueil qui leur est réservé. Avant que le rideau ne retombe, ces actualités sont remplacées par les unes de divers journaux, où l’on apprend la destitution du président américain, survenue deux ans plus tard, suite au scandale du Watergate.

Plus émouvants encore, les larges extraits, diffusés sur écran géant, d’un documentaire daté de 1979, où le violoniste Isaac Stern, invité par la Chine pour une série de concerts et de master classes, discute avec un ancien professeur de conservatoire, réduit au silence et persécuté, comme tant d’intellectuels, pendant les années noires de la révolution culturelle.

Moins esthétisant que le spectacle conçu par Chen Shi-Zheng, au Châtelet, et offrant de plus vastes perspectives, celui-ci s’appuie sur une exécution orchestrale de tout premier ordre. Gustavo Dudamel dirige à la perfection cette musique percussive et métronomique, aux motifs martelés. La fosse, rehaussée, laisse s’épancher (un peu au détriment des voix, facilement couvertes) une phalange robuste, aux cuivres puissants, qui sonne parfois comme une formation de jazz alla Count Basie ou Benny Goodman, mais dont l’emphase et les déflagrations sont, aussi, directement héritées du Moussorgski de Boris Godounov, ou du Richard Strauss d’Eine Alpensinfonie, ouvertement citée.

Baryton mélancolique, rongé de doutes, à l’image du Simon Boccanegra verdien, avec une tendance à s’apitoyer sur son sort, Richard Nixon, couvé par sa femme, est savoureusement interprété par Thomas Hampson, plutôt inattendu dans ce répertoire. La voix a certes perdu en substance et en résistance, mais le timbre a gardé ses couleurs, et le diseur sait utiliser ses petites imperfections pour nourrir son personnage.

Modèle de la ménagère républicaine garante des valeurs familiales, dont le sourire cache bien des souffrances, Pat Nixon trouve, en Renée Fleming, une parfaite intermédiaire. Traduction idéale de ces épouses effacées, faire-valoir et pourtant indispensables à la réussite de leur mari, la soprano livre une impeccable prestation vocale.

En Grand Timonier, John Matthew Myers assume crânement la tessiture de Heldentenor qui lui est dévolue, tandis que Madame Mao, ancienne actrice de cinéma, devenue l’éminence grise de son époux en matière culturelle, incombe à l’étourdissante soprano colorature Kathleen Kim.

La belle basse de Joshua Bloom va comme un gant à l’étonnant secrétaire d’État Henry Kissinger, auquel répond le formidable Chou En-Lai du baryton Xiaomeng Zhang. Excellentes, les trois Secrétaires de Mao, incarnées par les mezzos Yajie Zhang, Ning Liang et Emanuela Pascu.

Impressionnante d’enthousiasme et de précision, Ching-Lien Wu, cheffe des Chœurs de l’Opéra National de Paris, ajoute, avec ce brillant opus, un nouveau trophée à son palmarès déjà conséquent.

FRANÇOIS LESUEUR


© Opéra National de Paris/Elena Bauer

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