Jonas Kaufmann & Ludovic Tézier
Insieme : Opera Duets
1 CD Sony Classical 19439987002
Formidables partenaires à la scène, Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier ont enfin enregistré le disque de duos d’opéras, dont on rêvait. Les prises ont eu lieu en studio, en avril-mai 2021, pour un résultat d’ensemble enthousiasmant.
Comme dans l’électrisant Great Operatic Duets, gravé par Placido Domingo et Sherrill Milnes, en 1970, au programme très proche (RCA/Sony Classical), la première chose qui frappe est la complémentarité des timbres. À l’instar de leurs aînés, le ténor allemand et le baryton français, qui partagent la même manière de faire de la musique, étaient nés pour chanter ensemble. Et comme ils étaient dans une forme olympique, au moment de l’enregistrement, le charme opère à fond.
Deux minimes réserves, pourtant, qui concernent – et ce n’est pas un hasard – les deux opéras ne figurant pas encore à leur répertoire. Dans La Gioconda (qu’ils aborderont ensemble, à Sydney, en août 2023) et Les Vêpres siciliennes (version originale parisienne de 1855), alors que Ludovic Tézier se montre extraordinairement souverain, Jonas Kaufmann paraît un peu mal à l’aise.
La tessiture d’Enzo Grimaldo, d’abord, semble trop haute pour lui, l’obligeant à forcer plus que de raison dans l’aigu – sur le vif, il trouvera sans doute le moyen de mieux négocier l’obstacle. Sa diction française, ensuite, manque de la netteté et du naturel qu’on lui connaît d’ordinaire, dans le premier duo Henri/Montfort (« Quel est ton nom ? »). Surtout comparée à celle de son partenaire, réellement exceptionnelle.
Péchés véniels, répétons-le, d’autant que le duo de Don Carlos, qui enchaîne avec ceux des Vêpres, renouvelle la magie des représentations de l’Opéra Bastille, en 2017 (il s’agit de la même version originale parisienne de 1867). Les rôles de l’infant et du marquis de Posa n’ont plus aucun secret pour les deux complices, et Jonas Kaufmann retrouve toutes ses qualités de français – sans égaler, quand même, Ludovic Tézier sur ce plan.
Miracle, encore, avec les trois duos de La forza del destino, aussi grandioses qu’au Covent Garden de Londres, en 2019. La complémentarité se fait ici fusion et l’émotion atteint son comble. « Solenne in quest’ora », en particulier, chanté à fleur de lèvres, avec un époustouflant dosage des nuances (jusqu’au détimbrage, dans le cas du ténor, ce qui ne manquera pas d’irriter ses détracteurs), bouleverse. Et puis, Jonas Kaufmann a décidément une manière de phraser « No, d’un imene il vincolo » à laquelle il est impossible de résister.
Le finale du deuxième acte d’Otello (depuis « Tu ? Indietro ! fuggi ! » à « Si pel ciel »), prodigieux d’énergie et d’intelligence du texte, conclut en beauté, faisant amèrement regretter le rendez-vous londonien manqué de 2017, quand les deux hommes auraient dû débuter ensemble dans l’ouvrage, et le choix de Carlos Alvarez pour l’intégrale gravée par Jonas Kaufmann, en 2019, déjà chez Sony Classical. Quels que soient les mérites du baryton espagnol, l’osmose opère davantage avec Ludovic Tézier, comme c’était le cas quand Placido Domingo incarnait Otello, avec Sherrill Milnes en Iago.
Dernier atout de cet album, et non des moindres : la présence d’Antonio Pappano, au pupitre d’un splendide Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia. Dès le duo Rodolfo/Marcello, au quatrième acte de La Bohème, qui donne d’emblée envie d’écouter la suite du disque, la vie explose à l’orchestre. Toute une myriade de couleurs et de nuances se déploie, dans Puccini, comme dans Ponchielli et Verdi. Il est certain que Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier n’auraient jamais atteint pareil accomplissement, sans un soutien aussi attentif et flamboyant – ni une prise de son aussi flatteuse.
RICHARD MARTET