Opéra, 21 décembre
Quand nous l’avions découverte, à Lausanne déjà, en décembre 2015 (voir O. M. n° 114 p. 46 de février 2016), cette production de My Fair Lady (New York, 1956) nous avait laissé perplexe. En effet, la mise en scène de Jean Liermier, mais aussi les décors et les costumes, semblent passer à côté de l’humour décapant de George Bernard Shaw – sa pièce Pygmalion a inspiré le livret d’Alan Jay Lerner –, comme de l’élégance pétillante de la partition de Frederick Loewe.
Le parti pris consistant à chanter en anglais, mais à jouer les dialogues en français, fonctionne toujours. Mais le problème des accents, crucial ici, n’a pas du tout été résolu, devenant aujourd’hui carrément catastrophique. Eliza adopte une manière de parler ridicule, aussi incompréhensible qu’impossible à identifier : est-ce du québécois ? du bourguignon ?
Son père, Doolittle, cockney lui aussi, ferait plutôt parigot. Quant à Mrs. Pearce, la gouvernante si typiquement anglaise, pourquoi devient-elle allemande ? Le seul personnage dont l’accent se justifie, l’escroc hongrois Karpathy, est interprété par Richard Lahady avec un sens efficace du pittoresque.
Heureusement, la platitude du spectacle est éclipsée par la tenue musicale de la soirée, avec un chef et une distribution renouvelés. Sous la direction pleine de brio de Roberto Forés Veses, l’Orchestre de Chambre de Lausanne met en valeur le chic de la partition ; tous les savoureux morceaux de bravoure, rendus encore plus populaires par le film glamour de George Cukor (1964), font mouche.
La distribution s’impose jusque dans les moindres rôles – dont une demi-douzaine parlés. Nicolas Cavallier est tout simplement idéal en Higgins. Il a l’âge et le physique du personnage, avec sa crinière poivre et sel, sa moustache conquérante, sa distinction innée. De sa belle voix grave, il parvient à rendre touchant le mélancolique « I’ve Grown Accustomed to Her Face ».
Malgré une longue perruque rousse qui ne parvient pas à l’enlaidir, Catherine Trottmann prête son charme espiègle à Eliza et, de sa voix fraîche, lance un « Just You Wait » vengeur. Christophe Lacassagne est un Pickering tout en rondeur, tandis que Julien Dran transforme ce grand benêt de Freddy en soupirant transi et finalement émouvant.
En Doolittle, le truculent Rémi Ortega chante avec verve « With a Little Bit of Luck ». Et, qu’ils soient passants, serviteurs ou aristocrates aux courses hippiques d’Ascot, les membres du Chœur de l’Opéra de Lausanne, dirigés par Jean-Philippe Clerc, font merveille.
Seule modification, par rapport à 2015 : la chorégraphie, alors balourde, est remplacée par des danses acrobatiques signées Jean-Philippe Guilois, qui ont le mérite de mettre en valeur leurs bondissants interprètes.
BRUNO VILLIEN