Opéras Munich à l’heure japonaise
Opéras

Munich à l’heure japonaise

09/06/2023
© Wilfried Hösl

Haus der Kunst, 14 mai

Dans un poème de la Chine ancienne, la favorite délaissée d’un empereur de la dynastie Han compare son triste destin à celui d’un éventail, rafraîchissant en été, puis négligemment jeté en automne. Ce poème lui vaut de passer à la postérité, son nom, Hanjo, devenant même un sobriquet générique pour toute femme abandonnée.

Le même thème se retrouve au Japon, dans un Nô du XIVe siècle : l’échange d’éventails entre le jeune noble Yoshida  et la courtisane Hanako, métaphorique d’une promesse de mariage qui, malheureusement, ne se concrétise pas. La geisha esseulée, devenue de fait une « Hanjo », se répand en plaintes bouleversantes, aux confins de la folie, jusqu’au retour inespéré de son amant volage.

En 1955, Hanjo, le dernier des Cinq Nô modernes de Yukio Mishima, rajoute à cet argument classique des résonances plus contemporaines. Chaque matin, dans la gare de Tokyo, la jeune geisha Hanako attend son fiancé Yoshio, en tenant un éventail entre ses mains. Et, chaque soir, Jitsuko, la femme peintre plus âgée qui l’a recueillie dans son atelier, contemple longuement sa beauté. Un jour, Yoshio revient, mais Hanako fait semblant de ne pas le reconnaître. Elle refuse de renoncer à sa vie d’attente ritualisée, mais aussi à la passion amoureuse qui la lie à Jitsuko, l’artiste et sa muse se suffisant désormais à elles-mêmes.

Dans son opéra Hanjo, créé au Festival d’Aix-en-Provence, en 2004, Toshio Hosokawa (né en 1955), tout en restant pour l’essentiel fidèle à la pièce de Mishima, rajoute encore quelques strates esthétiques supplémentaires au sujet. Né à Hiroshima, mais formé en Allemagne, élève notamment d’Isang Yun, Klaus Huber et Brian Ferneyhough, sa musique s’inscrit davantage dans un courant occidental « savant » que dans une quelconque imitation japonaise. Une absence de couleur locale, voire de fortes analogies avec les œuvres des compositeurs « spectraux », qui lui furent d’ailleurs beaucoup reprochées.

Le Nô est pourtant bien présent dans cette nouvelle production, proposée par le Bayerische Staatsoper, dans le cadre atypique de l’une des ailes de l’austère Haus der Kunst de Munich. Répartition du public en bi-frontal, sur des estrades se faisant face, de part et d’autre d’un espace vide, où tourne à vue une sorte de boîte scénique mobile en plexiglas, avec l’orchestre regroupé sur un troisième côté : l’espace reste relativement large, dévolu surtout aux huit danseurs de la compagnie Eastman, qui peuvent y déployer à loisir les tournoiements virtuoses, typiques du chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui. D’abondants commentaires gestuels qui peuvent paraître envahissants, mais restent pertinents.

Les trois rôles principaux évoluent tantôt sur l’estrade, action souvent ralentie et stylisée, tantôt au milieu des danseurs. Un peu trop présentes (discrètement amplifiées ?), les voix sont belles. La jolie Hanako de la soprano franco-chypriote Sarah Aristidou, la Jitsuko ambiguë de la mezzo suédoise Charlotte Hellekant et le digne Yoshio du baryton allemand Konstantin Krimmel parviennent à exister, en dépit d’une mise en scène qui leur impose un mélange vétilleux de souplesse et de raideur. Prédomine, cependant, l’impression d’une relative ascèse, encore renforcée par un chant austère, psalmodies resserrées sur de petits intervalles autour d’une seule note.

L’orchestre (Münchener Kammerorchester), dirigé avec beaucoup de relief par le chef allemand Lothar Koenigs, est, en revanche, plus riche en détails, tantôt discrets, tantôt percussifs et violents. C’est là, sans doute, que l’ouvrage se révèle le plus marquant, alliages mouvants et sons diaphanes, qui viennent s’imprimer sur le silence, comme une mystérieuse calligraphie.

Laurent Barthel


© Wilfried Hösl

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