Opéras Montag aus Licht à Paris
Opéras

Montag aus Licht à Paris

12/12/2025
© Denis Allard

Philharmonie, Grande Salle, 29 novembre

Avant-dernier épisode de la saga Licht – près de 29 h de musique – qui occupa un quart de siècle le compositeur Karlheinz Stockhausen (1928-2007), et que lui consacre le chef d’orchestre Maxime Pascal depuis 2018 (voir O. M. n° 199 p. 90), Montag aus Licht (Lundi de lumière) fut créé à la Scala de Milan le 7 mai 1988 et repris quatre mois plus tard en version de concert au Théâtre des Champs-Élysées. Si l’accueil de cet ouvrage fleuve (4 h 40) fut à l’époque plutôt réservé côté italien, voire indifférent côté français, cette nouvelle production, presque quarante ans plus tard et toujours sous l’égide du Festival d’Automne, reçoit un immense succès ! Il faut dire que l’ensemble de Maxime Pascal, Le Balcon, a mis les bouchées doubles pour offrir au public un spectacle total, fidèle à l’esprit du compositeur, mais aussi et surtout avec des moyens plus actuels et plus perfectionnés quant à la projection du son et de la vidéo dans un vaste espace.

Dans cet ouvrage lyrique fractionné en sept jours de la semaine, Lundi, la journée d’Ève, célèbre autant la procréation que la renaissance de l’humanité et l’élévation spirituelle. Cette « Lune-Mère » fertile et généreuse donne naissance à d’étranges êtres mi-hommes, mi-animaux, à l’apparence d’hirondelle, de perroquet, de cheval, de perruche et de chien, qui « se comportent comme des nains », plaisantent et rient de leurs facéties.

Silvia Costa, déjà responsable d’une des « Journées » – Freitag, monté à l’Opéra de Lille en 2022 (voir O. M. n° 188 p. 50) – a conçu un spectacle bigarré qui épouse le monde de l’enfance. Entre le Club Mickey et Blanche-Neige et les Sept Nains (premier long métrage du studio d’animation réalisé en 1937), l’univers du dessin animé selon Disney envahit non sans fraîcheur et à un rythme soutenu le plateau, avec ses couleurs harmonieuses distribuées dans le détail des costumes, le jeu des interprètes, la lumière changeante et une galaxie en perpétuelle mutation. D’ailleurs, qui nous dit que Licht, découpé en sept opéras, n’eut pas pour point de départ le féerique Blanche-Neige des frères Grimm (1882) ? Un conte musical où la mise en scène s’en donne à cœur joie pour lancer la danse « des poussettes », où des gnomes barbus aux chapeaux pointus entament un ballet frénétique de landaus, poussés par une armée de nourrices sous le regard bienveillant d’une Ève juchée sur un phare.

Écrite pour l’essentiel dans le suraigu, la partition privilégie la voix, celle d’Ève, distribuée à trois sopranos distinctes, et surtout celles du regroupement de pas moins de quatre chœurs d’enfants, d’où émergent à l’acte II sept petits solistes : une prouesse sans équivalent comparativement aux autres journées de Licht. Ce que le compositeur nomme l’orchestre « moderne » est en réalité un percussionniste associé à trois synthétiseurs – tels que le compositeur pouvait en disposer au cours des années 1980. Moins familier avec ce nouvel instrumentarium qu’à ses débuts, Stockhausen peine à fournir un son original par rapport à celui obtenu à la même époque par Pink Floyd, Vangelis ou Tangerine Dream. Cette nappe-son synthétique a alors plus à voir avec le bourdon des musiques anciennes et traditionnelles de l’Inde et d’Extrême-Orient.

Le chant des trois marins (copie humoristique des Rois mages) accuse un monde primitif à partir de mots inintelligibles, de sons « liquides » et de jeux phoniques associés à divers cris d’animaux, bruits de guerre, et même une imprécation d’Hitler (sur laquelle on tire la chasse d’eau), ou encore cette dodelinante pieuvre noire alias Lucifer. L’acte III se veut plus intime et amène une forme de douceur bruissante. Ève n’est plus qu’une statue qui s’effrite tandis qu’à nouveau un conte, Le Joueur de flûte de Hamelin (encore Grimm !) inspire la procession des enfants.

Maxime Pascal et Silvia Costa confèrent sans conteste une magie supérieure et un sens chorégraphique au grand œuvre de Stockhausen, exalté par cette luxuriance de la voix si spécifique à Montag aus Licht.

FRANCK MALLET

Michiko Takahashi, Marie Picault, Clara Barbier Serrano, Pia Davilla (sopranos)
Josue Miranda, Safir Behloul, Ryan Veillet (ténors)
Florent Baffi (basse)
Maxime Pascal (dm)
Silvia Costa (ms/dc)
Nieto, Claire Pedot (v)
Lila Meynard (l)

.

Pour aller plus loin dans la lecture

Opéras La Pucelle d'Orléans à Amsterdam

La Pucelle d'Orléans à Amsterdam

Opéras Le Petit Faust à Reims

Le Petit Faust à Reims

Opéras Lohengrin à Rome

Lohengrin à Rome