Opéra, 1er février
Nous n’avions pas du tout été emballé par cette mise en scène de Moïse et Pharaon, lors de sa création, au Festival d’Aix-en-Provence, en juillet dernier (voir O. M. n° 185 p. 22 de septembre 2022). Revue à l’Opéra de Lyon, qui l’a coproduite avec le Teatro Real de Madrid, elle nous a, sinon séduit, du moins davantage convaincu de sa pertinence.
Certes, le camp de migrants de l’acte I pour les « Hébreux », la traversée de la mer Rouge en zodiacs, Aménophis en travailleur humanitaire, apportant des produits de première nécessité aux réfugiés, continuent à nous paraître triviaux, au regard de l’élévation spirituelle du sujet et de la musique. Mais, resserrée sur le plateau de la maison lyonnaise, la direction d’acteurs de Tobias Kratzer gagne en force et en fluidité, au point de paraître moins banale et prévisible qu’au Théâtre de l’Archevêché. Une vraie cohérence se dégage du propos et la transposition à notre époque, aussi « tarte à la crème » soit-elle, fonctionne.
Le changement de chef, à la tête des mêmes (superbes !) Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon, n’est pas pour rien dans l’impression plus positive laissée par la production. Daniele Rustioni, en effet, réussit ce qui avait échappé à Michele Mariotti : la construction d’une architecture d’ensemble dans cette fresque, il faut le dire, hétéroclite, que nous continuons à trouver moins puissante que le Mosè napolitain de 1818, en italien, dont elle dérive.
Tout aussi attentif à la mise en valeur des détails instrumentaux que son compatriote, le directeur musical de l’Opéra de Lyon obtient, de surcroît, des résultats absolument miraculeux avec les chanteurs. À Aix, Vasilisa Berzhanskaya campait une Sinaïde impressionnante de vigueur et d’autorité. Daniele Rustioni, sans rien lui retirer, lui impose une gamme de nuances infinie dans son grand air du II (« Ah ! d’une tendre mère »), pour atteindre des sommets d’émotion – salués, d’ailleurs, par des applaudissements à rideau ouvert.
Peut-être favorisé par l’acoustique d’une salle fermée, Michele Pertusi fait également meilleure impression en Moïse que le soir de la première aixoise, l’usure des moyens passant résolument au second plan, par rapport à la noblesse du chant et de l’incarnation. De même, Mert Süngü sonne un peu moins étroit et chevrotant en Éliézer, Géraldine Chauvet et Edwin Crossley-Mercer demeurant d’impeccables Marie et Osiride.
Côté nouveaux venus, une seule déception : Ruzil Gatin, qui ne fait pas un instant oublier Pene Pati. Présenté comme l’un des espoirs de la jeune génération rossinienne, et effectivement doté de jolis moyens, le ténor russe est, très certainement, excellent en Don Narciso (Il Turco in Italia) et Don Ramiro (La Cenerentola). Mais sa voix est beaucoup trop légère pour la tessiture meurtrière d’Aménophis, le contraignant à murmurer, ou à appuyer et pousser plus que de raison dans l’aigu.
Ekaterina Bakanova, en revanche, surclasse Jeanine De Bique, en Anaï. Le timbre n’est pas forcément plus charmeur, ni la diction plus nette, mais sa longue expérience du bel canto (Lucia di Lammermoor, L’elisir d’amore, Don Pasquale, La traviata…) permet à la soprano russe de mieux épouser le style de cette musique.
Le baryton-basse italien Alex Esposito, enfin, ne fait qu’une bouchée du rôle de Pharaon, avec une présence et une autorité saisissantes, dont Adrian Sampetrean, pourtant bien chantant, à Aix, était totalement dépourvu.
RICHARD MARTET