Opéras Maria Stuarda à Salzbourg
Opéras

Maria Stuarda à Salzbourg

26/08/2025
Lisette Oropesa, Nino Gotoshia, Aleksei Kulagin et Bekhzod Davronov. © Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus

Großes Festspielhaus, 7 août

D’abord metteur en scène et décorateur de théâtre, Ulrich Rasche avait fait son entrée à Salzbourg en 2018 avec Les Perses d’Eschyle, avant ses débuts à l’opéra en janvier 2022 avec une Elektra à Genève dont le fabuleux décor avait fait sensation (voir O. M. n° 180 p. 31 de mars). Pour sa troisième production lyrique, celui de Maria Stuarda n’est pas moins extraordinaire, mais cette fois infiniment mieux en situation. Saisissante ouverture de rideau avec, sur la très vaste scène du Großes Festspielhaus plongée dans le noir, trois disques géants indépendants, sans aucun autre mobilier ni accessoire : un vertical, mais qui peut basculer dans toutes les directions, et deux en position horizontale mais sur des axes inclinés, dont les plateaux sont constitués eux-mêmes d’un emboîtement de cercles pouvant tourner dans des sens opposés.

L’ensemble, le plus lourd et complexe qu’il ait jamais conçu, dit son auteur, est mis constamment en mouvement avec une virtuosité et une perfection de réalisation stupéfiantes. Alors que le disque vertical peut servir aussi d’écran pour quelques vidéos, ceux du sol servent de plateaux à chacune des deux reines et à leurs affrontements, avec toute la gamme de nuances que permettent leurs mouvements, à différentes hauteurs et dans différentes orientations, et une fluidité constante, un mouvement incessant qui suivent et déchiffrent avec une précision étourdissante les fils de l’action et du discours.

Rasche a dit son admiration pour Pina Bausch : complément non moins étonnant de fait, avec l’accompagnement des danseurs de la très performante Salzburg Experimental Academy of Dance qui d’emblée, et ensuite sans aucune interruption, accompagnent les protagonistes de leurs balancements rythmés, et pour le troisième acte, avec des enchaînements et compositions de corps soigneusement calculés, dans la chorégraphie d’apparence discrète mais non moins subtilement élaborée de Peter Blackman. Outre la séduction de la plastique, équilibrant ce que le propos d’ensemble peut avoir d’austère (noir et blanc, relevé par moments d’une poignée de couleurs unies), c’est aussi un des aspects du concept, visant à dépasser les données psychologiques, bien présentes, en suggérant la société ou les groupes sociaux qui manœuvrent en sous-main cette mécanique inexorable, tandis que le chœur réel, lui, commente, invisible à l’arrière-scène.

Deux actrices et chanteuses d’exception donnent corps et âme à l’ensemble, sous une direction d’acteurs de fer. L’Elisabetta de Kate Lindsey met le dispositif en mouvement avec une entrée fracassante et la présence puissamment dramatique qu’on lui connaît, et dans une tension qui dès lors ne diminuera. Le caractère, le tempérament comme la voix de bronze sont ici en idéale situation, pour plus d’un moment bouleversant, poignant même, en particulier dans les déchirements du début du troisième acte.

Partenaire idéale et témoignant du même parfait accord avec le metteur en scène, Lisette Oporesa, dont c’est la première scénique à Salzbourg, après sa prise de rôle à Madrid la saison dernière, toujours d’une très grande beauté en scène et actrice non moins intense, donne une prestation tout aussi éblouissante, suraigus vertigineux et sans dureté de sa parfaite colorature, et forces inépuisables savamment ménagées, en particulier pour les quelque quarante minutes de chant continu du III, sans aucune défaillance ou faiblesse perceptible. À côté de bons comprimari, on découvre aussi avec bonheur en prise de rôle le jeune ténor ouzbek Bekhzod Davronov, en tout début de carrière, au timbre doré chaleureux et acteur vibrant, au physique conquérant, dont on reparlera certainement beaucoup.

Sans être tout à fait au même niveau, Antonello Manacorda donne une très honorable prestation, avec des Wiener Philharmoniker naturellement de grand luxe, comme les chœurs, à juste titre très fournis, de l’Opéra de Vienne, cette fois sous la direction d’Alan Woodbridge. Encore une nouvelle production dont on sort subjugué, pour l’avoir vu faire vivre dans le métal noir le plus brûlant la sensualité du bel canto.

FRANÇOIS LEHEL

Pour aller plus loin dans la lecture

Opéras Hotel Metamorphosis à Salzbourg

Hotel Metamorphosis à Salzbourg

Opéras Die Meistersinger von Nürnberg à Bayreuth

Die Meistersinger von Nürnberg à Bayreuth

Opéras Mahagonny à Berlin

Mahagonny à Berlin