Opéras Mahagonny à Berlin
Opéras

Mahagonny à Berlin

08/08/2025
Robert Gleadow, Evelyn Herlitzius et Thomas Cilluffo. © Thomas Aurin

Deutsche Oper, 26 juillet

Directeur du Theater Basel – qui affiche ce spectacle en septembre et octobre – Benedikt von Peter aime s’affranchir des limites traditionnelles de la scène et offrir au public des expériences que l’on qualifierait volontiers d’immersives si le mot n’était autant galvaudé. Le public du Deutsche Oper n’a pas oublié son Aida avec seulement trois personnages en scène, l’orchestre derrière eux et les chœurs dans la salle, une production huée à sa création en 2015 mais entrée depuis au répertoire (voir O. M. n° 113 p. 32 de janvier 2016), et on s’est passionné à Hanovre, à Bâle, ou récemment à l’Opera Ballet Vlaanderen, pour son extraordinaire mise en scène d’Intolleranza 1960 intégrant les spectateurs au milieu des artistes sur scène (voir O. M. n° 191 p. 33 d’avril 2023).

La même démarche de rupture du quatrième mur – au figuré, mais aussi au propre – gouverne ce Mahagonny, et la démarche s’avère pertinente : dès lors qu’il s’agit de créer une ville au milieu de nulle part, nulle part peut être partout. Comme pour Intolleranza 1960, quand l’heure du spectacle arrive, la salle est encore fermée – et tous les sièges sont d’ailleurs recouverts de housses qui empêchent de les ouvrir. Les spectateurs restent dans les foyers, croisant des choristes et figurants en costumes outranciers et aux maquillages mystérieux, certains qui les abordent plus ou moins aimablement, et d’autres qui gisent à même le sol.

C’est là aussi, dans le hall, dans les foyers ou même dans les toilettes, que l’on va croiser Leokadja Begbick – une Evelyn Herlitzius qui s’amuse visiblement – flanquée d’un Trinity Moses et d’un Fatty aux allures de catcheurs, le tout dans une esthétique entre cabaret et heavy metal. Un cadreur les suit partout et les filme en gros plan, des écrans disposés un peu partout et des haut-parleurs – les voix sont sonorisées – permettant de suivre l’action.

Pendant ce temps, une autre équipe de tournage montre l’arrivée de Jim Mahoney, Jakob Schmidt, Bill et Joe, sortant d’un taxi sur la Bismarckstrasse puis évoluant à travers le bâtiment vers la scène où tout le monde va se retrouver. Tout le monde ? Oui, car les spectateurs, désormais admis dans la salle, sont invités à monter sur le plateau et à s’y asseoir sur de grands matelas – ceux qui préfèrent rester dans la salle pouvant désormais s’y installer aussi. La fosse a été recouverte et l’orchestre, qui jouait d’abord au centre de la scène, recule sur un plancher coulissant. Il continue à y avoir des interactions atypiques – notamment des échelles par lesquelles certains solistes circulent entre le parterre et le balcon mais, peu à peu, toute l’action va se recentrer sur la scène.

À partir du passage du typhon, matérialisé par des fumigènes et l’extinction des écrans, le spectacle change de physionomie. Impossible sans doute de garder éternellement le rythme fou de la première partie : il y a du coup un vrai sentiment de retour à la normale (tout étant relatif) et de ralentissement. La vidéo n’est plus utilisée que de façon marginale, l’orchestre joue à l’arrière-scène, les chœurs sont repoussés à cour et jardin, et les solistes évoluent dans des chemins laissés libres entre les matelas.

Si, dans Intolleranza 1960, von Peter avait réussi à intégrer les spectateurs dans l’action et à leur faire ressentir les tourments des populations dénoncés par Nono, tel n’est pas le cas ici : le public, assis, ne se mêle pas véritablement aux artistes, mais se contente de les découvrir d’un point de vue différent – tout au plus est-il invité à scander ou chanter certains refrains. Cet apaisement permet à chacun d’apprécier plus directement la musique, sans avoir besoin d’amplification.

On retiendra particulièrement d’une distribution globalement excellente la Jenny infatigable – vocalement et scéniquement – d’une Annette Dasch éblouissante, mais aussi le formidable Jim Mahoney de Nikolai Schukoff, dont le chant très versatile permet de véritables moments d’émotion, ainsi que le Bill également très lyrique d’Artur Garbas. Déjà complice de von Peter dans Intolleranza 1960, Stefan Klingele gère avec maestria la joyeuse folie de la partition de Weill, en ayant le bon goût de ne jamais verser dans la caricature.

NICOLAS BLANMONT

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