Opéra, 19 mars
Luisa Miller (Naples, 1849), ouvrage plein de feu et de passions, n’est guère à l’affiche des théâtres français, et on se réjouit que l’Opéra de Rennes ait choisi de le représenter, en coproduction avec Angers/Nantes et Erfurt. On ne cherchera pas de second degré dans la mise en scène de Guy Montavon, qui va droit à l’essentiel, sans se préoccuper de psychanalyser, d’adapter ou de trop moderniser.
Le décor d’Éric Chevalier consiste en des panneaux de bois, glissant latéralement et définissant des espaces abstraits. Ses costumes sont inspirés du XIXe siècle, sauf celui de Rodolfo, à partir du II, qui apparaît tout à coup en complet de velours marron, de même que Luisa porte une robe à fleurs. Sans doute les deux héros doivent-ils ne pas se laisser enfermer dans les préjugés de leur époque…
Le reste est affaire d’accessoires : des paquets cadeaux pour l’anniversaire de Luisa, des fauteuils pour les pères, un cerf transpercé d’une lance, au moment de la chasse, une coupe pour le poison. La direction d’acteurs ne va pas, non plus, chercher midi à quatorze heures : le Comte Walter joue aux échecs le destin des uns et des autres ; Miller marche sur le plateau avec fébrilité, car les événements lui échappent ; les deux héros meurent en se tenant par la main…
Les personnages qui représentent l’autorité ou la morgue s’en sortent le mieux : il leur suffit d’être là, et de s’imposer. Les autres, en revanche, semblent abandonnés à eux-mêmes. Rodolfo est interprété par un Gianluca Terranova qui va et vient sur le plateau, sans trop savoir quoi faire, et se frappe le front pour donner à voir son désarroi. La Luisa de Marta Torbidoni, elle, choisit plutôt le statisme, qui traduit à la fois la stupeur et la résistance intérieure de la jeune fille.
Cette conception sans surprise a, néanmoins, son ressort, et l’engagement vocal des chanteurs, dans l’atmosphère intime de l’Opéra de Rennes, donne une belle énergie au spectacle. Quelles que soient ses limites scéniques, Gianluca Terranova est ainsi une bonne surprise : timbre ardent, ligne soignée, le ténor italien ne cherche pas l’effet et ne se réfugie jamais dans le sanglot. Son air « Quando le sere al placido » est un moment de chant suspendu, qu’on écoute pour lui-même.
Sa compatriote, la soprano Marta Torbidoni, est une Luisa vocalement séduisante, mais bien peu expressive, même dans les moments dramatiques, tel celui où elle écrit, sous la menace de Wurm, la lettre qui scellera son destin. Il y a là de l’éclat, du beau son, Luisa semblant, à la fin, entrer dans la mort comme une sainte, et non comme une héroïne tragique.
Lucie Roche, campant une Federica que Guy Montavon fait intervenir vieillissante, appuyée sur des cannes, s’empare de l’idée avec brio. La mezzo française poitrine habilement, comme si elle venait de l’outre-monde, celui des machinations fatales.
Luisa Miller est, aussi, l’opéra des pères : les voix de la basse roumaine Cristian Saitta et du baryton italien Federico Longhi s’équilibrent fort bien quand elles s’affrontent, et donnent un réel soubassement au plateau. Enfin, Alessio Cacciamani, avec son timbre très noir, incarne le mal, en Wurm, sans avoir à se forcer.
Le Chœur d’Angers Nantes Opéra, la plupart du temps dans les coulisses, bouge très peu quand il est sur scène, mais chante avec aplomb. Il est vêtu de noir, ce qui n’engage à rien. Quant à l’Orchestre National des Pays de la Loire, il contribue à la plénitude de la représentation. Malgré des cordes un peu indécises, Pietro Mianiti le dirige avec souplesse.
Une partie des percussions est installée dans une loge, au-dessus de la fosse, de manière à ne pas épaissir le trait et à faire entendre les bois, que Verdi traite avec beaucoup d’imagination. Signe que Luisa Miller n’est pas qu’une partition intermédiaire dans le cours de la carrière du compositeur, mais déjà un accomplissement.
CHRISTIAN WASSELIN
PHOTO © ANGERS NANTES OPÉRA/DELPHINE PERRIN