Teatro Amazonas, 18 mai
Avec quatre opéras à l’affiche, dont une reprise (Peter Grimes), le Festival « Amazonas de Opera » a dignement fêté son 25e anniversaire, du 21 avril au 28 mai. Pour ajouter au rayonnement de cette édition 2023, la manifestation a même accueilli, du 17 au 19 mai, la 16e conférence annuelle de l’association « Opera Latinoamerica » (OLA), qui réunit plus de quarante théâtres, festivals et structures dédiées à l’art lyrique, répartis sur toute l’Amérique latine.
En dehors de la qualité de sa programmation artistique, le Festival est devenu l’un des acteurs majeurs de l’activité opératique en Amérique du Sud, grâce à son cadre unique : le Teatro Amazonas, construit à la fin du XIXe siècle, à l’initiative d’entrepreneurs qui, après avoir accumulé des fortunes colossales dans le commerce du caoutchouc, entendaient faire de Manaus une capitale artistique et culturelle. Un véritable bijou, rassemblant le meilleur du savoir-faire européen de l’époque, dont l’intérieur (somptueux sièges en velours bordeaux et bois, balcons en métal ouvragé, plafond orné de peintures dans le style préraphaélite…) est à la hauteur de ce que laisse espérer l’extérieur, dans des tons rose et blanc, avec un dôme recouvert de trente-six mille tuiles en céramique, aux couleurs du drapeau brésilien.
La résurrection d’O Contractador dos diamantes (Le Producteur de diamants), d’après la pièce éponyme d’Afonso Arinos, est l’occasion de découvrir le premier des quatre opéras de l’un des compositeurs brésiliens les plus importants du XXe siècle : Francisco Mignone (1897-1986). Composé en 1921, sur un livret en italien de Gerolamo Bottoni (Mignone complétait alors ses études musicales dans la Péninsule), l’ouvrage a connu une double création, en 1924, au Theatro Municipal de Rio de Janeiro et au Theatro Municipal de Sao Paulo, avec le concours d’une compagnie d’opéra venue d’Argentine. Repris, pour la dernière fois, au début des années 1950, il a bénéficié, en 2021, d’un long travail de reconstruction et d’édition critique, mené par le musicologue Roberto Duarte (Ediçoes ABM), dont le Festival a eu la primeur.
L’intrigue s’inspire d’un épisode de l’histoire brésilenne au XVIIIe siècle, à l’époque où le pays était une colonie portugaise. Aristocrate ayant fait fortune dans l’exploitation des mines de diamant, au cœur de l’État du Minas Gerais, Felisberto Caldeira Brant (Don Filiberto Caldeira dans le livret), jugé trop riche, trop puissant et trop affranchi de la tutelle de Lisbonne, est victime d’un complot ourdi par le gouvernement portugais et ses représentants locaux. Accusé de vol, soupçonné de vouloir proclamer l’indépendance du Minas Gerais, en ouvrant au passage les mines de diamant au peuple, il est arrêté et exilé.
La dimension « patriotique » de l’opéra est incontestable, d’autant que Caldeira Brant est considéré comme l’un des pionniers de l’indépendance du Brésil, proclamée en 1822. Mais Francisco Mignone et son librettiste ont intercalé, dans l’intrigue, une histoire d’amour entre Cotinha, la nièce du héros, et Luis Camacho, en mettant parallèlement l’accent sur le rôle joué par le peuple, soutien inconditionnel du dissident. Le résultat est assez déroutant, car la fresque historique et la romance ne se mélangent jamais, occasionnant des ruptures dont la partition se fait le reflet.
Les deux duos passionnés entre Cotinha (soprano) et Camacho (ténor), au I et au II, ressemblent irrésistiblement à ceux entre Manon et Des Grieux, dans Manon Lescaut, et Adriana et Maurizio, dans Adriana Lecouvreur. L’orchestre double la ligne de chant, tout en faisant monter la température, au fil de mélodies absolument irrésistibles dans les deux cas. Et puis, soudain, à la fin du second duo, on bascule, sans transition, vers un ballet avec chœurs, directement inspiré de la musique populaire brésilienne et harmonisé avec une invention rappelant, pour l’intégration du folklore, Bartok et Borodine.
Si le ballet de la fin du I semble un décalque du premier acte d’Andrea Chénier, l’air du ténor, peu de temps avant, illustre l’une des oppositions les plus fructueuses cultivées par Francisco Mignone : une ligne vocale rappelant Puccini, sur un accompagnement évoquant le Richard Strauss de Die Frau ohne Schatten. Alternant consonance et dissonance, chœurs dérivés de Boris Godounov, de Cavalleria rusticana et des fêtes traditionnelles brésiliennes, le compositeur construit ainsi un langage éminemment personnel, qui s’inscrit durablement dans l’oreille de l’auditeur.
On le savoure d’autant mieux que la mise en scène de William Pereira, dans les décors fonctionnels de Giorgia Massetani et les jolis costumes d’époque d’Olintho Malaquias, se contente d’illustrer le livret, sans aller chercher midi à quatorze heures. Sous la direction enflammée de Luiz Fernando Malheiro, directeur artistique du Festival, l’orchestre Amazonas Filarmonica se hisse au rang de protagoniste, comme l’exige l’ouvrage. Même chose pour le chœur (Coral do Amazonas), aussi à l’aise dans le style classique que folklorique, et d’une endurance exemplaire dans une partition qui lui demande énormément.
Des trois chanteurs principaux, se détache le jeune baryton mexicain Carlos Arambula, actuellement en résidence à la Chapelle Musicale « Reine Élisabeth », sous la tutelle de José Van Dam et Sophie Koch. Il brosse un portrait autoritaire et émouvant de Don Filiberto Caldeira, notamment au III, où il est quasiment seul en scène avec le chœur (le parallèle avec le Mefistofele de Boito n’est sans doute pas fortuit).
Originaire, elle aussi, du Mexique, Fernanda Allande hérite du rôle de Cotinha, créé par rien moins que Gilda Dalla Rizza, l’une des sopranos préférées de Puccini, première Magda dans La rondine (Monte-Carlo, 1917). Après un premier acte déparé par des aigus trop durs, elle réussit plutôt bien le grand duo du II, face au séduisant Camacho du Brésilien Giovanni Tristacci, qui relève avec brio les défis d’un rôle confié, en 1924, à Giulio Crimi, créateur de Luigi et Rinuccio dans Il trittico (New York, 1918).
Impossible, enfin, dans cette coproduction avec le Theatro Municipal de Sao Paulo, de passer sous silence la performance de la compagnie de ballet (Corpo de Dança do Amazonas), en charge des dynamiques chorégraphies d’Anselmo Zolla.
Richard Martet