Metropolitan Opera, 2 mars
Pour ses débuts au Metropolitan Opera de New York, en 2013, François Girard avait marqué un grand coup avec Parsifal, l’un des spectacles les plus fouillés et les plus saisissants, sur le plan visuel, du mandat de Peter Gelb (DVD Sony Classical). La déception avait été d’autant plus cruelle, en 2020, lors de la création de sa mise en scène de Der fliegende Holländer, inefficace et défigurée par de médiocres vidéos. Aujourd’hui, son nouveau Lohengrin se situe quelque part entre les deux, en termes de qualité théâtrale.
Situant l’intrigue dans un « futur diffus », pour reprendre l’expression utilisée par le réalisateur canadien, le décor est constamment laid, sans l’ombre d’une rivière, d’une cathédrale ou d’un lit nuptial, la présence du cygne se réduisant à la projection d’une aile. L’idée est, apparemment, de nous entraîner dans un monde post-apocalyptique, où les humains, revenus à des coutumes ancestrales, vivent dans des cratères percés dans le sol. Par l’ouverture de l’un de ces cratères, on voit défiler des galaxies, des planètes, des étoiles filantes…
De manière franchement gênante, pendant le sublime Prélude de l’opéra, François Girard, suivant la politique en vigueur au Met, selon laquelle les spectateurs des retransmissions en HD doivent avoir l’œil constamment occupé, nous montre une douzaine de lunes tournant lentement sur elles-mêmes, avant qu’une treizième n’explose, à la manière d’une supernova. De même, les rituels magiques d’Ortrud détournent notre attention pendant le Prélude de l’acte III.
Le plus surprenant reste que, dans une production faisant autant appel aux technologies les plus modernes, la direction d’acteurs s’avère souvent conventionnelle. Ainsi de ces ensembles, où les six personnages principaux sont alignés à l’avant-scène, comme ils devaient l’être, en 1945, lors du légendaire Lohengrin dirigé par Fritz Busch.
Vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise blanche déboutonnée, comme Parsifal et les Chevaliers du Graal, en 2013 – l’un des choix dramaturgiques les plus limpides de François Girard –, Piotr Beczala n’a plus la fraîcheur de timbre de ses premiers Lohengrin, à Dresde (2016), puis à Bayreuth (2018). De surcroît, l’immense espace du Met lui permet moins de jouer sur les dynamiques. Mais le ténor polonais n’en chante pas moins remarquablement, avec autant d’émotion que de style.
Tamara Wilson, loin de la traditionnelle ingénue sur le plan physique, offre à Elsa une pureté de timbre et une qualité de phrasé également admirables. La couleur de la voix, « blanche » et froide, n’est pas sans rappeler celle d’Ingrid Bjoner, titulaire du rôle au Met, entre 1961 et 1968, notamment dans la nouvelle production « posthume » de Wieland Wagner, en décembre 1966.
La soprano américaine trouve ses meilleurs moments au III, même si elle tient plus que dignement son rang, au II, face à Christine Goerke, Ortrud incarnée, de manière fort réjouissante, à la façon des « méchantes » de Walt Disney. Chez celle-ci, l’équilibre entre les registres et la justesse de l’intonation ne sont plus forcément au rendez-vous, mais la somptuosité du médium et l’engagement total dans le personnage réservent de vrais bonheurs.
En débuts au Met, Thomas Hall remplace, lors de cette deuxième représentation, Evgeny Nikitin – en proie à de sérieuses difficultés vocales, le soir de la première, selon différentes sources. Familier du rôle de Telramund (Savonlinna, Séoul, Varsovie), le baryton-basse américain projette le texte et la musique avec clarté et confiance.
Günther Groissböck apporte au Roi une énergie athlétique assez inattendue. Seul germanophone de l’équipe, sa déclamation d’une parfaite netteté rend le drame plus prenant, même si l’extrême grave a perdu en projection et si son chant sonne globalement laborieux.
On se réjouit, enfin, que le Met se décide enfin à distribuer Brian Mulligan dans des projets d’envergure. Illustrant la tradition maison de confier le Héraut à des voix italianisantes (Lawrence Tibbett, Leonard Warren, Sherrill Milnes), le baryton américain proclame ses « Annonces » avec la qualité de timbre attendue. Dommage qu’il recoure trop au portamento et prononce bizarrement certaines voyelles.
Avec l’exceptionnel orchestre du Met (les trompettes sur scène et dans les loges de côté), sous la baguette de Yannick Nézet-Séguin, le principal moteur – et bonheur ! – de ce spectacle reste le chœur, excellemment préparé par Donald Palumbo. Une performance, de bout en bout, sidérante.
Quelles que soient les objections soulevées par la mise en scène, la qualité musicale de ce Lohengrin est telle qu’avant même la fin du premier acte, nous avions décidé d’y revenir un autre soir !
DAVID SHENGOLD