Opéras Lohengrin à Karlsruhe
Opéras

Lohengrin à Karlsruhe

17/12/2025
Mirko Roschkowski. © Felix Grünschloß

Badisches Staatstheater, 22 novembre

Le Staatstheater de Karlsruhe peut s’enorgueillir de plus de cent cinquante ans d’une tradition wagnérienne entretenue en continu, initiée par des chefs aussi précocement bayreuthiens qu’Hermann Levi et Felix Mottl. Une affinité qui reste patente au cours de ce Lohengrin, mené de main de maître par la baguette de Georg Fritzsch. Agogique inexorable, subtilité des plans sonores, variété des couleurs, gestion pragmatique d’une masse chorale pas toujours docile : une forme d’évidence rarement entendue dans cet ouvrage, notoirement difficile à équilibrer.

Autre performance, cette production est entièrement assumée par les chanteurs de la troupe, à l’exception du rôle-titre. On citera d’abord Barbara Dobrzanska, arrivée à Karlsruhe en 2002. Elle y a d’abord beaucoup ému dans Puccini, et n’est jamais repartie. Un quart de siècle plus tard, le timbre de la soprano polonaise s’est métallisé, mais sa technique inébranlable lui permet de chanter à présent une Ortrud exemplaire. Même fiabilité pour l’Elsa de la Finlandaise Pauliina Linnosaari, voix épanouie, à pleine maturité, peut-être de ce fait moins vulnérable que ce que l’on attend du personnage. Autre pilier de l’ensemble, le Roi Heinrich de la basse Konstantin Gorny, comme d’habitude somptueux, même ce soir où il est annoncé enrhumé. Et puis deux clés de fa d’origine asiatique : le Japonais Tomohiro Takada et le Coréen Kihun Yoon, Héraut et Telramund remarquables par la qualité de leur allemand, le second brillant aussi par la véhémence de son engagement scénique, avec pour seul défaut d’aboyer un peu trop son rôle de méchant. Enfin, une découverte : l’élégance du ténor allemand Mirko Roschkowski, Lohengrin d’une luminosité plus mozartienne que wagnérienne, dont l’exceptionnelle égalité de registres ne trouve ses limites que dans le « Récit du Graal ». Un soupçon de fatigue se fait alors sentir, mais qui accentue encore la crédibilité du personnage.

Car, dans l’intelligente mise en scène de Manuel Schmitt, Lohengrin est plutôt un antihéros, personnage anonyme, d’abord assis dans la salle, en tenue de ville, incognito. Jusqu’à ce que le cygne – ou plutôt l’avorton maladif qui en tient lieu, affublé d’ailes ligneuses collées dans le dos – révèle sa présence en plein parterre, en braquant sur lui un faisceau lumineux. Un quidam, comme choisi au hasard, auquel on propose un rôle de sauveur, d’abord endossé timidement, puis avec une assurance croissante.

Plutôt agaçante au début, par ses airs de déjà-vu, avec au premier acte son tribunal délabré par une guerre récente et ses inévitables costumes du milieu du siècle dernier, qui déclinent sur une centaine de choristes et figurants la même triste banalité vestimentaire d’avant-hier, la production prend véritablement corps au II, quand une population fanatisée y adopte Lohengrin comme un nouveau dictateur. Parallèle évident avec le Bayreuth de l’avant-Seconde Guerre mondiale, adoubant Adolf Hitler avec la bénédiction d’une Winifred Wagner à laquelle Elsa ressemble ici beaucoup.

Remarquable intelligence du dispositif scénique, d’abord inspiré de projets d’Emil Preetorius (précisément pour le Lohengrin de Bayreuth 1936) et puis qui évolue à vue vers le dépouillement pseudo-antique des rassemblements cérémoniels du nazisme. Ni croix gammées ni saluts hitlériens, mais des équivalents limpides, qui nous interpellent de façon troublante, à l’heure de la remontée en puissance de l’éternelle propension des masses à se jeter aux pieds du premier protecteur providentiel venu. Habile aussi, le centrage de tout le dispositif scénique autour d’un tumulus funéraire, peut-être le tombeau du souverain de Brabant, mais aussi un démarquage évident de la sépulture de Wagner dans le jardin de la Villa Wahnfried. Troisième acte plus futuriste, à l’issue duquel Lohengrin jette l’éponge, remettant les insignes du pouvoir à un cygne-Gottfried manifestement dérangé psychiquement, nouveau tyran d’un monde privé de repères. 

Une lecture passionnante, mais aussi une mise en scène toujours fonctionnelle et fluide, sans temps mort, où seule irrite absolument, au premier acte, la machine à écrire du Héraut, dont le discret crépitement parasite même l’air d’entrée d’Elsa, en dépit de la soudaine prudence du chanteur-greffier à ne pas trop mitrailler les aigus piano de sa collègue. Une très mauvaise idée que cet accessoire, à mettre d’urgence au rebut !

LAURENT BARTHEL

Konstantin Gorny (Heinrich der Vogler)
Mirko Roschkowski (Lohengrin)
Pauliina Linnosaari (Elsa von Brabant)
Kihun Yoon (Friedrich von Telramund)
Barbara Dobrzanska (Ortrud)
Tomohiro Takada (Der Heerrufer des Königs)
Georg Fritzsch (dm)
Manuel Schmitt (ms)
Julius Theodor Semmelmann (d)
Carola Volles (c)
Stefan Woinke (l)

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