Opéras L’Italiana in Algeri à Pesaro
Opéras

L’Italiana in Algeri à Pesaro

01/09/2025
Giorgi Manoshvili et Daniela Barcellona. © Amati Bacciardi

Teatro Rossini, 21 août 

Avec cette Italiana in Algeri transformée en manifeste queer, Rosetta Cucchi dit avoir voulu restituer à la « folie organisée » orientaliste de Rossini la force transgressive qui caractérise selon elle l’« opera buffa ». Elle fait d’Isabella une drag queen, venue en compagnie de sa troupe de transsexuels sauver son fiancé de l’esclavage et renverser l’ordre machiste. Il y a un courage certain dans cette volonté militante à une époque où les tabous tombent mais où la différence n’est peut-être pas encore aussi bien acceptée qu’on pourrait le penser et où l’art lui-même est menacé par un certain conformisme, comme elle le dit dans sa note de programme.

Toutefois, si le résultat est sympathique et souvent très amusant, cette approche a un peu tendance à réduire à des clichés le monde LGBT dont elle fait une sorte de music-hall permanent. Le décor à compartiments, du reste, n’est pas sans évoquer une sorte de boîte de nuit dont Mustafà serait le patron. Surtout, cette vision appauvrit souvent le propos du livret d’Anelli. Un bon exemple est la scène de séduction où les trois hommes épient la toilette d’Isabella qui y perd sa dimension érotique alors que celle-ci se rase au lieu de se pomponner et que les voyeurs sont derrière la porte. Au finale, le drapeau gay et les vidéos d’une marche des fiertés accompagnent l’air de bravoure d’Isabella. Tandis que le chœur des esclaves se couvre d’oripeaux à paillettes, Elvira apparaît en dominatrice et s’empare de Mustafà visiblement révélé à son désir d’être soumis sexuellement, offrant une conclusion « logique » à cette vision très extrapolée qui fait de la « Patria » l’hymne d’une libération.

À 56 ans sonnés, Daniela Barcellona ne peut plus jouer les vamps mais elle se coule avec délectation dans son personnage de travesti extravagant et quelque peu clownesque où sa haute taille est un élément majeur. Elle transcende par une imposante présence théâtrale les limites d’une voix dont le registre grave s’est un peu amenuisé mais où une certaine virtuosité est toujours au rendez-vous. Lui répond le puissant Mustafà de Giorgi Manoshvili, remarquable de souplesse et dominant avec aisance les longues phrases et les vocalises de son rôle de basse chantante tout en jouant les bravaches ahuris avec une constance admirable. Le personnage de Taddeo auquel Misha Kiria prête son baryton stentorien mais peu nuancé paraît un peu sacrifié, trop monolithique et guère amusant, même dans la scène du Kaimakan.

Après un air d’entrée où il fait valoir de belles variations dans sa cavatine, Josh Lovell dérape quelque peu dans les vocalises de sa cabalette et se perd tout à fait dans son second air pourtant nettement moins exigeant. Du côté des petits rôles, Gurgen Baveyan est un Haly assez léger mais efficace et le duo Elvira-Zulma trouve en Vittoriana De Amicis et Andrea Niño deux interprètes particulièrement bien accordées au tempérament de leurs rôles, la seconde donnant beaucoup de personnalité à Zulma, transformée en femme de ménage en bigoudis.

L’excellent chœur masculin du Teatro Ventidio Basso se démultiplie avec talent au fil de la soirée et, dans la fosse, Dmitry Korchak dirige l’Orchestre du Comunale de Bologne avec toute la verve et le brillant attendus.

ALFRED CARON

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