Amphithéâtre Bastille, 11 & 12 mars
Depuis le spectacle de Dominique Pitoiset en 2005, maintes fois repris ensuite, L’isola disabitata de Haydn, azione teatrale de moins d’une heure et demie très formatrice par son écriture exigeante, a accompagné plusieurs générations de chanteurs de l’Atelier Lyrique. Avec cette nouvelle production, affichée pour dix dates à l’Amphithéâtre Bastille, l’œuvre mobilise pour la première fois toutes les forces vives de l’Académie de l’Opéra de Paris : chanteurs, instrumentistes, mais aussi décoratrice, costumière, créateur lumières… Même le chef et le metteur en scène en sont récemment sortis.
Le livret de Métastase n’offre que peu de ressort dramatique : Costanza, persuadée d’avoir été abandonnée par son époux dans l’île déserte où elle se trouve depuis treize ans, a élevé sa petite sœur Silvia dans la haine des hommes. Le retour de Gernando finira par convaincre la belle qu’il avait été enlevé par des pirates, et la sœurette, Silvia, tombera à son tour dans les bras d’Enrico, le compagnon de voyage de Gernando. Exploitant les multiples contraintes du lieu, Simon Valastro, danseur du ballet de l’Opéra à la retraite, devenu chorégraphe et metteur en scène, donne une lecture très littérale, dans des costumes simples et intemporels avec, pour tout décor, un rocher se dressant au milieu d’une plage de graviers : une représentation symbolique de l’île qui saura, grâce à son dispositif tournant, se faire tour à tour grotte refuge, promontoire d’observation, monument funéraire, et même, par la vertu d’une simple voile hissée, vaisseau permettant enfin aux quatre héros de quitter ces lieux. Valastro a ajouté un danseur, Nicolas Fayol, pour incarner avec grâce et inventivité une biche. Silvia, si prévenue contre tous les hommes, saura l’apprivoiser, tout comme elle sera à son tour apprivoisée par Enrico.
Saluons la direction, aussi élégante que rigoureuse, de François Lopez-Ferrer, fils de Jesus Lopez Cobos, qui donne du galbe et du jarret à la partition. On sait que l’écriture de Haydn ne pardonne rien, aux chanteurs comme à l’orchestre, en termes de précision et de clarté, avec notamment de nombreux récitatifs accompagnés (et aucun secco) à la délicate mise en place. Bravo aussi pour les soli instrumentaux très exposés, en particulier dans le magnifique quatuor final de dix minutes où violon, violoncelle, flûte et basson concertants, associés chacun à un personnage, rivalisent de virtuosité.
Deux distributions alternent. La délicieuse Silvia d’Isobel Anthony domine nettement la première, beau soprano lyrique américain d’une excellente discipline et d’une grande sensibilité qui ferait merveille dans maint rôle mozartien. De plus, son naturel à incarner une fillette ingénue est confondant. L’autre titulaire, Sima Ouahman, semble plus obligée de composer. La soprano française d’origine irano-marocaine a par ailleurs une voix plus légère, mais bien éduquée, quoiqu’à l’aigu un rien dur. L’émouvante Costanza de Sofia Anisimova illumine au contraire le second plateau : la mezzo ukrainienne lui apporte son timbre riche, mais jamais épais, sa technique impeccable et sa rigueur stylistique. Amandine Portelli est certes aussi engagée théâtralement, mais cette grande voix paraît plus lourde, avec des scories dans l’intonation et le legato. Son Gernando, Liang Wei, a pour lui un ténor léger facile, mais ce jeune Chinois paraît encore peu à l’aise sur scène et en italien. Bien plus de rayonnement chez Bergsvein Toverud, beau ténor lyrique américano-norvégien au timbre clair et riche et à la ligne châtiée.
Enfin, des deux Enrico, pareillement crédibles physiquement, on a préféré, n’étaient quelques graves un peu faibles, le baryton viennois Clemens Frank, voix plus claire et mordante et à la virtuosité jamais prise en défaut. Le Brésilien Luis-Felipe Sousa possède sans doute plus de grave, mais l’aigu manque de focus, et les problèmes de justesse et de netteté, en particulier dans les vocalises, sont légion. Un charmant spectacle qui prouve la belle vitalité de l’Académie.
THIERRY GUYENNE