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L’Heure espagnole et Gianni Schicchi à Valence

06/05/2025
Gianni Schicchi. © Les Arts/Miguel Lorenzo/Mikel Ponce

Palau de les Arts « Reina Sofia », 27 avril

Belle entrée au répertoire – scénique, car elles avaient déjà été données en concert – de l’Opéra de Valence pour L’Heure espagnole et Gianni Schicchi. Deux œuvres régulièrement couplées (rien qu’à Paris, à l’Opéra-Comique en 1986 par Jean-Louis Martinoty et au Palais Garnier en 2004 par Laurent Pelly) malgré leurs différences de style et d’ambiance, que Patrice Caurier et Moshe Leiser rendent bien sensibles dans leur mise en scène. 

La fantaisie de Ravel, située dans les années 1950-1960, enchante par son décor kitsch où l’alignement de pendules sur les cloisons apporte une touche surréaliste, accentuée encore par la soudaine intrusion d’une statue de taureau traversant le mur, lorsque le muletier évoque l’épisode tauromachique de son ancêtre. Cette lecture drolatique s’y entend pour jouer des sous-entendus grivois du livret de Franc-Nohain, à l’instar de ce « bijou de famille » – la montre de Ramiro – soigneusement examiné par l’horloger : ce mari complaisant qui fait prospérer ses affaires sur le dos des amants de sa femme n’est manifestement pas insensible lui-même aux charmes masculins ! À l’implacable timing de la mise en scène, rythmée par des effets de lumières réglés au cordeau, répond l’impeccable mise en place musicale de Michele Spotti, qui souligne à merveille toutes les ruptures de style et de mesure de cette partition éblouissante, et met en valeur son orchestration raffinée. La sonorité de l’orchestre n’a sans doute pas une transparence typiquement française, mais le résultat est jubilatoire, servi de surcroît par d’excellentes voix. Seule francophone du plateau, Ève-Maud Hubeaux le domine par son mezzo somptueux et puissant, qu’elle a manifestement plaisir à ramener au ton de la conversation, pour camper une nymphomane effrontée. Armando Noguera prête son baryton clair et mordant et sa virilité tranquille à un Ramiro sexy malgré lui, en un français tout aussi idiomatique. L’adéquation linguistique est plus problématique avec les trois autres, à des degrés divers. Mikeldi Atxalandabaso est un Torquemada cauteleux à souhait, au ténor incisif et au verbe éloquent, en dépit de quelques déformations de voyelles. Problème accentué chez le Gonzalve d’Iván Ayón Rivas, auquel s’ajoutent de généreux coups de glotte et des aigus volontiers stentoriaux là où on attendrait une quasi haute-contre. Mais toutes les difficultés vocales sont affrontées avec aplomb, sinon toute la légèreté requise. Enfin, la basse Manuel Fuentes impressionne par sa voix de bronze, mais son désopilant Don Iñigo s’exprime en un bien improbable volapük !

Changement radical d’atmosphère avec Puccini, dont la grinçante satire sociale est servie avec un réalisme minutieux et plus contemporain, l’action se déroulant dans une chambre médicalisée. En prélude, nous assistons aux derniers instants de Buoso Donato qui meurt de crise cardiaque en tentant d’arracher à Gherardino un jeu vidéo au bruit exaspérant : la mécanique de l’action se met alors en marche, avec quelques épisodes d’une incongruité cocasse, comme ce passage du cadavre par la fenêtre pour s’en débarrasser ! Notons que si Tolède n’était guère présente en première partie, nous sommes cette fois bien à Florence, dont on aperçoit le fameux dôme depuis ladite fenêtre. 

Michele Spotti se montre tout aussi à son aise dans les effusions pucciniennes, servant au plus près un plateau sans faille où les jeunes membres du Centre de perfectionnement de la maison se mêlent aux grands professionnels, stars confirmées voire vieux de la vieille, comme l’increvable Zita d’Elena Zilio (84 ans !), au mezzo sonore – avec des registres très marqués – et à la remarquable autorité. 

Le Simone du baryton Giacomo Prestia porte encore beau, malgré un instrument un peu fatigué, quand Mikeldi Atxalandabaso et Manuel Fuentes, précédemment cités, sont ici d’impeccables Gherardo et Betto. Tous mériteraient d’être salués, mais se détache évidemment le trio principal. On retrouve le ténor percutant et facile d’Iván Ayón Rivas, Rinuccio malgré tout un peu lassant par sa constante recherche de volume : les duos avec sa Lauretta s’en trouvent déséquilibrés, ce qui est regrettable vu l’excellence de Marina Monzó. La jeune Valencienne montre un très beau soprano, un phrasé particulèrement raffiné dans un « O mio babbino caro » couronné d’une superbe messa di voce, sans oublier un fulgurant contre-ré bémol dans le duo final. Mais c’est bien sûr Ambrogio Maestri qui se confirme Gianni Schicchi d’exception, d’une vis comica imparable, avec une subtilité et une variété de couleurs, de tons et d’effets admirable, de son baryton tour à tour caressant, insidieux, menaçant ou sarcastique. Le public, à juste titre enthousiaste, réserve un triomphe à ce diptyque très enlevé, et à l’humour parfaitement réglé et jamais vulgaire.

THIERRY GUYENNE

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