Opéras Les Contes d’Hoffmann à Strasbourg
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Les Contes d’Hoffmann à Strasbourg

07/02/2025
© Klara Beck

Opéra National du Rhin, 26 janvier

Ce n’est pas parce que Les Contes d’Hoffmann reste un chef-d’œuvre achevé, mais pas totalement orchestré, et pour partie perdu à jamais dans les flammes, qu’on doit les malmener. Sous prétexte de recentrer l’action autour de la Muse et de son avatar Nicklausse, pour démontrer que l’amour de la femme chez Hoffmann n’est que nombrilisme solitaire d’un poète qui n’a qu’une conception stéréotypée de la psyché féminine, Lotte de Beer a fait réécrire les dialogues selon un point de vue féministe. Ce qu’a commis le dramaturge Peter Te Nuyl, en allemand – avant qu’on ne les traduise en français – pouvait être éclairant, voire novateur… 

L’exercice tient hélas du poncif indigeste, avec, comme incidence majeure de nuire à la continuité du discours musical, en tentant la recréation d’une sorte de version « opéra–comique ». On garde certes une partie des numéros habituels, en puisant dans l’édition de Michael Kaye et Jean-Christophe Keck – ce qui nous vaut aussi de retrouver « Une poupée aux yeux d’émail », « Vois sous l’archet frémissant », « L’amour lui dit : la belle ! » ou le sublime ensemble final, « Des cendres de ton cœur »… Mais on semble surtout avoir réduit la partition à l’os, tant la chair des dialogues chantés – apocryphes pour partie, on le sait – manque au déroulé de l’ensemble. Pire, ces dialogues insipides, renvoyés au proscenium, devant un rideau noir masquant la scène, semblent réduire Les Contes à une série de morceaux choisis, au lieu de magnifier le grand opéra fantastique voulu par Offenbach. Et c’est impardonnable. 

D’autant que la mise en scène ne compense pas ce manque, loin s’en faut. Coincé dans un décor en trapèze circulaire, entre de sinistres parois de papier peint, l’espace scénique est contraignant en diable. Le jeu d’échelle qui caractérise l’acte d’Olympia avec une poupée gigantesque ou miniature et un mobilier à l’avenant, l’acte de Munich illisible et celui de Venise désarticulé, ne compose pas même un récit d’ensemble. La caractérisation trop sommaire des protagonistes devient d’autant plus un handicap que l’on a choisi de confier les quatre rôles féminins, les quatre du méchant et les quatre du comique aux mêmes chanteurs. Héroïnes trop semblables, parce que stéréotypées, méchants illisibles, sinon grotesques, Hoffmann fadasse… On attendait le vertige du fantastique, on a l’ennui et la platitude. 

Chacun fait pourtant ce qu’il peut. Attilio Glaser a certes de la voix, mais se cantonne dans un forte sans nuance ni possibilité d’alléger, l’empêchant de séduire vraiment. Lenneke Ruiten, bonne Olympia sans réel glamour, n’a ni l’émotion d’Antonia ni le ton et l’ampleur de Giulietta. Jean-Sébastien Bou, qu’on a connu plus percutant, apparait dépassé par les requis d’un grave qui lui manque en couleur comme en ambitus, et la mise en scène dilue ses vilains dans une grisaille impersonnelle. Raphaël Brémard s’en tire plutôt mieux avec ses rôles comiques, faisant transparaitre une vraie personnalité dans ces figures aseptisées, quand Marc Barrard n’a guère le temps de créer ses figures paternelles. Finalement, c’est Floriane Hasler qui impose le mieux sa personnalité, avec la rude mission de nous montrer cette « muse qui satisfait les fantasmes érotomanes » du héros, comme dit au final ! La voix, probe, bien tenue, avec une jolie couleur bronze, n’est cependant pas encore de celles qu’on mémorise aussitôt. Les chœurs voient leurs parties fortement réduites, comme leur présence théâtrale, par le manque d’espace. Quant au sens festif de la beuverie chez Luther, du dîner chez Spalanzani et à Venise, on le cherche en vain.

Reste l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, élégant, équilibré, avenant, sous la baguette cursive de Pierre Dumoussaud ; las, les coupes et les interruptions par les dialogues ont vite raison de son rayonnement. Mais comment mener un récit quand on l’interrompt toutes les dix minutes et qu’il faut relancer le propos ? L’impression d’un spectacle sans magie propre, mal ficelé, pas finalisé, ennuyeux et indigne des Contes demeure à la sortie. Sera-t-il retravaillé pour les reprises à venir, au Volksoper de Vienne, à l’Opéra-Comique et à Reims ?

PIERRE FLINOIS

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