Chiostro di San Domenico, 28 juillet
Dernière des trois nouvelles productions de cet été à Martina Franca, L’Enfant et les sortilèges a surtout valeur de vitrine pour les jeunes chanteurs issus de l’Académie du Belcanto « Rodolfo Celletti », vraie pépinière de talents. La « fantaisie lyrique » de Ravel, qui fête tout juste le centenaire de sa création (Monte-Carlo, 21 mars 1925), se prête à merveille à l’exercice : un théâtre miniature où la sophistication instrumentale se conjugue à la ductilité scénique.
Pour l’occasion, l’œuvre est donnée dans une version chambriste dérivée de la réduction de Didier Puntos pour flûte(s), violoncelle et piano à quatre mains (réalisée en 1989 pour Lyon puis reprise à l’Opéra National du Rhin en 2021), ici enrichie d’un jeu de percussions et d’un piano droit « préparé » à la place du fameux luthéal voulu par Ravel : pas plus de sept musiciens appelés à enchanter l’ancien cloître des Dominicains. La jeune cheffe Myriam Farina tire le meilleur parti de cette configuration : si la luxuriance orchestrale reste évidemment hors de portée, sa baguette rigoureuse et sensible transcende la contrainte par la finesse des dynamiques, la clarté des textures, la fluidité des transitions, préservant la stylisation exquise de cette suite de miniatures. Quelques passages (valse, duo des chats) accusent une légère raideur, bridant la sensualité ou l’ironie de l’écriture, mais la cohésion avec les chanteurs reste exemplaire. L’effectif réduit ne peut qu’exposer davantage les voix, livrées à un exercice des plus délicats.
On ne saurait exiger de ces jeunes interprètes une maturité stylistique accomplie, mais l’engagement collectif force l’admiration, tout comme la diction française – ici décisive – qui s’avère tout à fait honorable. Parmi les onze chanteurs se partageant les vingt-et-un rôles de la partition – et les deux ailes du miniplateau en U installé autour des instrumentistes –, mention particulière pour le soprano au charme envoûtant de Virginia Genovese (la Princesse) et le mezzo charnu et éloquent de Manami Maejima (Maman, la Libellule, l’Écureuil).
Mais l’âme du spectacle appartient sans conteste à Elena Antonini, qui incarne l’Enfant avec une ligne de chant habitée et un jeu corporel magnétique, traversant avec une sincérité bouleversante sa parabole émotionnelle, de l’ennui à la rage, de la frayeur à l’émerveillement, du remords à la rédemption du « Maman ! » final, lancé comme un cri suffoqué d’affection. Son médium rond et sonore, sa ligne soignée, son articulation sensible et surtout sa présence scénique font tout le prix du spectacle.
La mise en scène – plutôt une mise en espace – joue la carte d’une naïveté assumée. Quelques panneaux en carton figurent la chambre de l’Enfant, vite défaite par sa colère, avant que se manifestent les présences autour de lui, sous forme de silhouettes que les interprètes brandissent comme des dessins arrachés à un livre. Les chœurs, placés sur un balcon surplombant le cloître, contribuent à l’illusion féerique. La simplicité du dispositif, servie par une direction d’acteurs efficace et spontanée, laisse respirer la tendresse, l’humour, la légèreté nécessaires. Il n’en faut pas davantage : la magie opère, nous entraînant dans une brève mais délicieuse rêverie.
PAOLO PIRO