Opéras Le Turc réussit son entrée à Liège
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Le Turc réussit son entrée à Liège

28/10/2022
© Opéra Royal de Wallonie-Liège/Jonathan Berger

Théâtre Royal, 21 octobre

On avait apprécié le brillant travail de Fabrice Murgia, pour la résurrection d’Il palazzo incantato de Luigi Rossi, à Dijon, en décembre 2020 (voir O. M. n° 168 p. 33 de janvier 2021). Avec cette nouvelle production d’Il Turco in Italia, réalisée pour l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, le metteur en scène belge en a reconduit les principes, s’appuyant largement sur la vidéo de Giacinto Caponio.

Le parti du filmage d’une représentation, en soi d’une originalité toute relative, se légitime ici de la « mise en abyme » du livret même, plaçant l’ensemble sous le regard de Prosdocimo, le « Poète », qui voit l’œuvre prendre forme sur la scène, en même temps que sous sa plume, et tente, avec plus ou moins de succès, d’en garder la maîtrise.

Prosdocimo travaille dans une roulotte vue en coupe, côté cour, mais la quitte, le plus souvent, pour intervenir directement, et donner notamment des indications de mise en scène. Comme à Dijon, les caméras filment en direct sur le plateau, mais pour des projections habilement menées, qui valorisent les vertus expressives des chanteurs.

Le beau et ingénieux décor de Vincent Lemaire pose, en élément principal, la remorque du grand camion d’une troupe de bohémiens, divisée latéralement en deux espaces, que dévoile, tour à tour, un panneau coulissant, sur la partie opaque duquel viennent se projeter, parfois, les surtitres : chambre de Don Geronio, sur la gauche, loge de Donna Fiorilla, sur la droite, toutes deux garnies d’autant d’objets aussi pittoresques que signifiants.

L’arrière du camion, avec ses feux allumés, vient s’insérer, côté jardin, pour ouvrir son rideau métallique sur le débarquement de Selim, et de son mobilier principal : un grand lit double, pour la séduction de Donna Fiorilla. Le décor stylisé et pimpant d’une trattoria accueille ensuite le duo du Turc et de sa proie potentielle, que Don Narciso peut écouter d’une table voisine, et Don Geronio en tournant autour du couple, pour un quatuor d’une grande drôlerie. Et le II culmine dans un brillant bal masqué.

Avec une direction d’acteurs poussée qui réussit à intégrer, le plus souvent, tous les personnages à l’action, cette production est un plaisir constant, autant pour l’œil que pour l’esprit !

Une équipe de haut niveau donne vie chaleureuse à l’ensemble. Elle est menée par le Don Geronio d’expérience de Bruno De Simone, en excellente voix, toujours parfait dans le canto sillabato, et idéal dans la caractérisation du personnage. Et par l’infatigable Prosdocimo de Biagio Pizzuti (pour Pierre Doyen, d’abord annoncé), enlevant brillamment le merveilleux trio du I « Un marito… scimunito ! », et réussissant l’exploit de varier sans cesse son travail de script, qui pourrait facilement lasser.

Dans un rôle très lourd, qu’elle avait déjà donné à Dijon, en janvier 2016, on ne cesse d’admirer Elena Galitskaya (pour Gianna Cañete Gallo, d’abord annoncée), Donna Fiorilla infatigable d’abattage, dans un travail de scène très exigeant, et vocalement d’une assurance impeccable pour la haute virtuosité, capable d’alterner magistralement le « buffo » et le « serio ». Et gardant ses forces intactes pour sa monumentale scène du II, couronnée par un « Caro padre, madre amata » particulièrement émouvant.

Légèrement en retrait, le Don Narciso vaillant et puissant de Mert Süngü (pour Diego Godoy, d’abord annoncé), mais dont le timbre assez acide manque du charme qu’on attend dans le rôle, presque en difficulté même pour son grand « Perché mai se son tradito » du finale du I, et trop en force pour son « Tu seconda il mio disegno » du II. Et le Selim de belle stature, mais qu’on aimerait vocalement plus séduisant, de Guido Loconsolo, de surcroît peu à l’aise dans la syllabisation.

Le tout jeune Alexander Marev, ténor éclatant et héroïque, donne un relief inattendu à l’épisodique Albazar. On peut discuter, en revanche, l’attribution de Zaida à Julie Bailly, tout à fait méritante pourtant, mais dont le format vocal, comme la présence scénique, malgré un jeu poussé, paraissent un peu trop lourds pour le personnage.

Avec l’excellent Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie et un Orchestre irréprochable, qui triomphe d’emblée des périlleux solos de l’Ouverture, Giuseppe Finzi, pour ses débuts in loco, ne pèche pas par excès de nuances, mais son engagement vigoureux, et la justesse de ses tempi, emportent rapidement l’adhésion.

La salle comble de la première fait un triomphe à l’ensemble, pour cette création de l’œuvre sur la scène liégeoise, plus que tardive certes, mais superbement réussie.

FRANÇOIS LEHEL


© Opéra Royal de Wallonie-Liège/Jonathan Berger

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