Même si son ouverture, ainsi que la cavatine que chante Mylio (« Vainement, ma bien aimée »), lui ont assuré une certaine renommée, Le Roi d’Ys n’en reste pas moins un opéra mal connu. Le Palazzetto Bru Zane a l’heureuse idée d’en proposer un nouvel enregistrement.

On ne le représente plus guère dans les théâtres, et son meilleur enregistrement, dirigé par André Cluytens (avec Rita Gorr, Henri Legay, Janine Micheau et Jean Borthayre), remonte à 1957 (2CD Warner). Lorsqu’il est créé, le 7 mai 1888, sur la scène temporaire de -l’Opéra-Comique (salle du Châtelet), son compositeur, Édouard Lalo, est âgé de 65 ans et, s’il a remporté quelques succès dans le domaine de la symphonie ou de la mélodie, on sait combien il lui a été difficile de s’affirmer pareillement avec une œuvre lyrique d’envergure. Il était donc logique qu’après lui avoir déjà consacré plusieurs enregistrements (dont, en 2016, celui de La Jacquerie, opéra complété après son décès par Arthur Coquard), le Palazzetto Bru Zane propose une approche nouvelle d’un titre qui a longtemps fait les beaux jours de la Salle Favart et du Palais Garnier.

C’est à Budapest qu’a été réalisée cette intégrale, et l’on y retrouve, toujours sous la direction de György Vashegyi, l’Orchestre National Philharmonique Hongrois, déjà présent dans l’enregistrement que le Palazzetto avait réalisé récemment de la version de Werther pour voix de baryton (voir O. M. n° 204 p. 94 de juillet-août 2024). Cette collaboration, une fois encore, s’avère précieuse. On note la belle discipline du Chœur National Hongrois et, en particulier, la qualité de ses accents. Quant à l’orchestre, il sait refuser aussi bien la mièvrerie que la violence exagérée pour cette œuvre qui bascule sans cesse entre tendresse et énergie. D’une partition qui ne comporte pas le moindre temps mort et où la science de l’instrumentation est toujours manifeste, György Vashegyi donne ainsi la lecture la plus convaincante qui soit, la plus variée dans ses ambiances, la plus dramatique dans sa continuité. Il est servi par six solistes choisis avec le meilleur soin. 

Confrontée au grand souvenir de Rita Gorr, Kate Aldrich ne démérite pas en proposant ici une Margared ardente, véhémente même lorsqu’il le faut, et néanmoins toujours attachante. Elle soutient crânement une tessiture particulièrement tendue, tout en évitant des effets trop faciles. On en dira de même pour Jérôme Boutillier qui, confronté au souvenir de Jean Borthayre, campe un Karnac impétueux, agressif, ironique parfois, porté par une voix de baryton aux ressources multiples. Du côté des personnages « positifs », le bilan est tout aussi satisfaisant. Avec Judith van Wanroij, Rozenn conserve son ingénuité, sa fraîcheur, ses savantes nuances aux couleurs d’aquarelle, sans que rien dans son chant puisse paraître affecté. Venant après Alain Vanzo (présent dans l’enregistrement réalisé en 1973 pour Le Chant du Monde, sous la direction de Pierre Dervaux), Cyrille Dubois n’a garde lui aussi de ne voir en Mylio qu’un héros un peu mièvre à qui tout semble réussir. L’énergie du guerrier ne s’oublie pas dans les accents du tendre amoureux. Aussi bien avec sa célèbre cavatine que lors de ses sursauts de vaillance, le ténor montre à tout instant quelle est son intelligence d’un tel ouvrage. À leurs côtés, Nicolas Courjal laisse deviner l’autorité et l’humanité du vieux roi tandis que Christian Helmer passe avec aisance du rôle de Jahel à celui de Saint Corentin. À noter, dans le livre qui accompagne cette nouvelle publication du Palazzetto Bru Zane, l’article de Vincent Giroud consacré à « l’inspiration bretonne dans la musique française du XIXe siècle ».

PIERRE CADARS

2 CD Palazzetto Bru Zane BZ 1060

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