7 DVD Accentus Music ACC70656 ou 4 Blu-ray ACC60656

La captation du Ring selon Andreas Homoki à Zurich s’impose dans la vidéographie par sa double réussite scénique et musicale, en retournant aux fondamentaux de la mythologie wagnérienne avec une direction étincelante et une distribution déclamant Wagner comme on ne l’avait plus entendu depuis longtemps.

À sa création en volets séparés (voir O. M. n° 199 p. 108 de février 2024), Mehdi Mahdavi avait encensé ce Ring zurichois filmé lors d’une reprise en cycle en mai 2024. Les caméras d’Accentus ont réussi à capter, dans une HD aux couleurs profondes, ce spectacle qui réconciliera tout le monde tant il opère un retour aux sources, mais dans une esthétique jamais passéiste, avec cet intérieur bourgeois XIXe sur tournette, rempli de mobilier démesuré pour Siegfried, contemporain pour les Gibichungen, qui accueille tous les fondamentaux du livret. Or, anneau, heaume, frêne, rocher, lance, forge, oiseau, destrier, dragon et même ours : tous répondent présents, parfaitement intégrés dans le décor de Christian Schmidt.

Andreas Homoki réhabilite l’esprit du conte en investissant les fameux monologues au point que même dans cet espace intérieur, on croit à cet univers mythologique truffé de clins d’œil au cinéma (un dragon digne de Game of Thrones, Alberich en Pingouin de Batman, Loge en Jack Sparrow), tout en s’octroyant des libertés qui frappent toujours juste. Pêle-mêle, Fricka venant constater l’étendue des dégâts après la mort de Siegmund, des Walkyries qui tourmentent les chevaliers tombés au combat en les ressuscitant sans cesse, Siegfried plus intéressé par le sort de son épée que par les ébats qui l’attendent. Bref, la vie théâtrale même. Cette production qui revient au tomber de rideau entre les scènes – on se serait juste épargné le tout dernier, après l’éloquente vision de la peinture du Walhalla en flammes – se dévore comme un livre d’images.

Par chance, la musique plane sur les mêmes hauteurs. Certes, Gianandrea Noseda a eu maille à partir avec la fosse étroite de l’Opernhaus, mais sa direction, qui ne manque sporadiquement que d’urgence (les duos), nourrit une passionnante narration appuyée sur un jeu de cordes très articulé, validant des tempi médians, donnant vie aux récits dans une approche presque verdienne, aux bois fruités et aux cuivres estompés pour ne pas envahir le plateau, assez éblouissant pour l’époque.

Il n’est guère que le Fafner du Prologue, Donner, la voix aiguë des trios et Erda qui soient un peu problématiques. Freia, Hunding, Mime et Waltraute s’imposent en deux phrases, les voix inférieures des Filles du Rhin et des Nornes ont toute la magie ou la séduction requises, Froh sa radiance, Gunther sa couardise, Loge sa perversité quasi expressionniste, le Waldvogel sa fraîcheur, Gutrune un ton de tragédienne qui explose dans sa dernière scène. Chez tous, une déclamation ouvragée, sauf peut-être chez le Fafner et le Hagen de David Leigh, par ailleurs impressionnant timbre maléfique. Le Wotan colossal de Tomasz Konieczny, diamant noir par-delà des consonnes toujours à la traîne, parfait double de l’Alberich de Christopher Purves, affronte la Fricka fiévreuse de Claudia Mahnke. Eric Cutler a le brillant et la franchise d’émission de Siegmund, Daniela Köhler l’ardeur désespérée de Sieglinde.

Pour son premier Siegfried, Klaus Florian Vogt envoûte par un timbre adolescent, quasi virginal, digne d’un « ténor blond », aussi à l’aise dans l’héroïsme que dans la demi-teinte (« Im Schlafe liegt eine Frau »). Il forme un couple à maturité aussi contrastée que sa relation neveu-tante avec la Brünnhilde de Camilla Nylund, vraie étoffe de Walkyrie, grave charnu, qui peine surtout dans ses « Appels » initiaux et un « Réveil » où le vibrato s’élargit dangereusement ; un défaut qui affecte avec une certaine récurrence ses longues tenues dans le haut médium. Mais quelle équipe au service du drame wagnérien !

YANNICK MILLON

Tomasz Konieczny (Wotan/Der Wanderer) – Xiaomeng Zhang (Donner) – Omer Kobiljak (Froh) – Matthias Klink (Loge) – Christopher Purves (Alberich) – Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime) – David Soar (Fasolt) – Brent Michael Smith (Fafner) – Eric Cutler (Siegmund) – Christof Fischesser (Hunding) – Klaus Florian Vogt (Siegfried) – Daniel Schmutzhard (Gunther) – David Leigh (Hagen/Fafner) – Claudia Mahnke (Fricka) – Kiandra Howarth (Freia) – Anna Danik (Erda) – Daniela Köhler (Sieglinde) – Camilla Nylund (Brünnhilde) – Lauren Fagan (Gutrune)-Sarah Ferede (Waltraute) – Rebeca Olvera (Waldvogel)

Chor der Oper Zürich, Philharmonia Zürich, dir.Gianandrea Noseda. Mise en scène : Andreas Homoki. Réalisation : Michael Beyer (16:9 ; stéréo : PCM ; Dolby Digital 5.1 ).

.

Pour aller plus loin dans la lecture

CD / DVD / Livres Intelligence de Jake Heggie

Intelligence de Jake Heggie

CD / DVD / Livres Sandrine Piau : Schubert, Quintette imaginaire

Sandrine Piau : Schubert, Quintette imaginaire

CD / DVD / Livres Jonas Kaufmann : Doppelgänger

Jonas Kaufmann : Doppelgänger