Opéra, 30 novembre
Dans une période où l’on redécouvre les diverses versions du Faust de Gounod, il paraissait intéressant de ressusciter ce Petit Faust, « opéra-bouffe » d’Hervé, créé en 1869, l’année même de l’entrée à l’Opéra de Paris de la grande version de celui de Gounod. La pièce connut en son temps un succès et une longévité remarquables, et jusqu’à deux cents représentations de façon contemporaine. La musique d’Hervé ne manque ni de charme, ni d’élégance, ni évidemment d’une certaine verve qui fait comprendre pourquoi le compositeur a pu être considéré comme le rival d’Offenbach et, à tout le moins, son égal. Son orchestration raffinée séduit dès le Prélude, et sa veine mélodique ne cesse de se renouveler au fil des trois actes. Le livret parodique de Crémieux et Jaime est un petit bijou plein d’esprit où le mythe se résout dans les affres d’un mariage petit-bourgeois auquel aspire le Dr Faust et où Marguerite est tout sauf la jeune fille pure et séduite de la légende. Le compositeur a eu l’idée de confier le rôle de Méphisto à une femme et il fait de Valentin un va-t-en-guerre brutal qui ouvre le bal avec un air martial décalé.
On attendait beaucoup de la mise en scène de Sol Espeche, dont on se souvenait du très réussi Coups de roulis à l’Athénée en 2023. Malheureusement, la metteuse en scène n’a rien trouvé à faire de la dramaturgie originale et semble avoir totalement ignoré ce que le livret offre de fines allusions et de ressources parodiques. Sa transposition dans le climat foutraque de pseudo jeux télévisés (L’École des fans, Champs-Élysées, Tournez manège !, etc., dont elle détourne les titres), avec des ballets bancals et un chauffeur de salle surexcité, transforme l’« opéra-bouffe » d’Hervé en charge sur la télévision des années 1980-1990. L’œuvre y perd toute cohérence dramatique et se noie dans des scènes déjantées aux dialogues entièrement réécrits, lestées de gags bien lourds. Si le rire spontané prend parfois le dessus, c’est à condition d’oublier le propos initial et d’accepter la grosse farce, comme ce combat de catch qui met aux prises Valentin et Faust, car le côté répétitif de cet humour assez lourd finit par lasser au bout de deux heures interrompues du même régime.
C’est d’autant plus regrettable que l’équipe réunie se révèle épatante d’engagement, d’une énergie toujours renouvelée face aux exigences d’une direction d’acteurs très physique. On citera les quatre principaux rôles : l’excellent ténor lyrique léger Charles Mesrine, composant un Dr Faust naïf et circonspect ; la truculente Marguerite d’Anaïs Merlin, qui s’en donne à cœur joie dans le côté farcesque ; et le Méphisto sarcastique de Mathilde Ortscheidt. Quant à Igor Bouin en Valentin, chacune de ses interventions survitaminées offre un moment de jubilation théâtrale auquel son baryton sonore et bien projeté contribue largement. Si le petit chœur se montre efficace, le meilleur de la production est à trouver dans les numéros musicaux eux-mêmes, qu’ils soient au premier degré ou parodiques.
La direction raffinée de Sammy El Ghadab, à la tête de l’orchestre des Frivolités Parisiennes, met remarquablement en valeur les qualités du compositeur, dans une interprétation d’une grande finesse, qui tranche avec un spectacle surchargé et racoleur.
ALFRED CARON
Charles Mesrine (Faust)
Anaïs Merlin (Marguerite)
Mathilde Orstcheidt (Méphisto)
Igor Bouin (Valentin)
Maxime Le Gall (Patrick Lepion)
Sammy El Ghadab (dm)
Sol Espeche (ms)
Oria Puppo (d)
Sabine Schlemmer (c)
Simon Demeslay (l)
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