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Le Château de Barbe-Bleue & La Voix humaine à Erl

03/08/2025
Christel Loetzsch et Florian Boesch. © Monika Rittershaus

Festspielhaus, 13 juillet

Pour sa première saison estivale aux Tiroler Festspiele, Jonas Kaufmann a choisi de mêler blockbusters et propositions plus audacieuses. À côté de la trilogie populaire de Verdi en version de concert, on pouvait ainsi retrouver le Picture a day like this de George Benjamin dans la mise en scène créée à Aix en 2023, et une nouvelle production du Château de Barbe-Bleue et de La Voix humaine coproduite avec le Maggio Musicale Fiorentino.

Sans être évident, le couplage Bartók/Poulenc n’est pas exceptionnel – l’Opéra de Paris l’avait confié à Krzysztof Warlikowski il y a dix ans (voir O. M. n° 113 p. 48 de janvier 2016) – mais le défi est évidemment de créer des liens entre les deux pièces plutôt que de se contenter d’une simple juxtaposition. Ici, les deux opéras se construisent parallèlement dans un passage progressif de l’ombre vers la lumière. 

Dans Bartók, Barbe-Bleue et Judith arrivent devant un grand rideau qui ferme la scène. Une poursuite les cherche puis les révèle en jeunes mariés, champagne à la main, lui hâbleur, elle un peu schlass. Il écarte le rideau, révélant peu à peu un château dont on va progressivement découvrir les pièces : un salon avec feu ouvert, un bureau bibliothèque, un espace assez large où la jeune femme se donne sans réserve à l’homme. Plutôt que d’ouvrir des portes, ce sont les divers aspects de la personnalité de son mari que Judith découvre tour à tour. Les trois dernières épouses apparaissent sous le visage de trois danseuses en robe rose, que Judith finira par revêtir aussi, créant un effet de clonage qui n’est pas sans rappeler la Salome récemment reprise par Guth au Met (voir O. M. n° 214 p. 77 de juillet-août). 

La direction d’acteurs est affûtée, et la relation entre le mari et l’épouse si intense qu’on prête à peine attention à des détails – une autre femme qui apparaît au début en robe fuchsia, Barbe-Bleue un moment absorbé par un appel téléphonique – que l’on ne comprendra que dans la deuxième partie de la soirée. L’autre, c’est évidemment Elle qui, voyant Barbe-Bleue revenir avec Judith et leur champagne, comprend qu’elle n’a plus sa place. Serrée dans son imperméable, valise à la main, elle loue une chambre d’hôtel exiguë, simple renfoncement dans le rideau de scène avec juste un lit une personne et un téléphone. Vers la moitié de l’opéra, elle abandonnera le téléphone et quittera l’hôtel pour rejoindre Barbe-Bleue dans son château, poursuivant son monologue face à lui, silencieux. Et finira par l’abattre d’un coup de revolver.

Au-delà des détails, les deux ouvrages s’assemblent à travers l’esthétique léchée des décors de Monika Korpa et des lumières de Michael Bauer : un même suspense à la Hitchcock, des images d’une beauté soufflante. La continuité serait parfaite s’il n’y avait un tel fossé dans le style des interprètes, un hiatus qui tient plus aux personnalités qu’aux différences d’époque, de langue et de musique. D’un côté, le jeu sobre, intense mais retenu, du Barbe-Bleue de Florian Boesch, baryton raffiné mais sonore, et de la Judith de Christel Loetzsch, mezzo soyeux capable d’attaquer avec aisance les éclats plus aigus. De l’autre, le style extraverti de Barbara Hannigan, aigus aisés mais médium faible, parfois même un peu couvert par l’orchestre : un tempérament dramatique incontestable, que les uns verront comme une nouvelle preuve d’un engagement total mais que d’autres analyseront comme une sorte d’histrionisme qui dépare un peu l’intériorité du travail de Claus Guth.

Dans la fosse, Martin Rajna, futur directeur musical de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, impressionne par sa capacité à construire le drame dans la forme requise par chacun des ouvrages. À la tête d’un très solide orchestre constitué spécialement pour le festival, le jeune Hongrois (29 ans) sait distiller les couleurs mais aussi exalter les déchaînements. Belle idée aussi que de faire précéder La Voix humaine de l’Elegia du Concerto pour orchestre de Bartók, qui tient lieu d’Ouverture et renforce la symétrie.

NICOLAS BLANMONT

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