Opéras Le Château de Barbe-Bleue à Dijon
Opéras

Le Château de Barbe-Bleue à Dijon

09/02/2025

Auditorium, 11 janvier

Nouvelle production de l’Opéra de Dijon, Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók était précédé des Métamorphoses, l’une des plus fameuses pages d’orchestre de Richard Strauss, méditation funèbre sur les bombardements et la destruction de l’Opéra de Munich, en 1943. Une « Étude pour vingt-trois cordes solistes » que le Dijonnais Dominique Pitoiset, metteur en scène et patron de l’Opéra, rapproche par son atmosphère crépusculaire du chemin de croix des deux protagonistes de l’unique ouvrage lyrique de Bartók – imaginé plutôt comme un vaste poème symphonique avec voix. Le peu d’action chez le Hongrois suggère une agonie visuelle en préambule, celle d’une femme – la Mélisande de Maeterlinck et Debussy ? – couchée dans son lit, et qui passe de vie à trépas entourée de ses proches. Une action sans paroles portée par les circonvolutions mouvantes de la partition de Strauss qui émergent peu à peu de la fosse d’orchestre, bercent et enlacent. Le metteur en scène « invente » ainsi un passé, une enfance à Barbe-Bleue, témoin de l’agonie et du décès de sa mère… 

De ce préambule on retient avant tout la finesse et la justesse de l’interprétation de l’Orchestre Français des Jeunes, placé sous la direction de l’Estonienne Kristiina Poska, jeune cheffe venue du Komische Oper de Berlin, actuelle cheffe principale de l’Orchestre symphonique des Flandres, avant d’assurer la direction musicale de l’OFJ à partir de cet été. Si la scène qui accompagnait les Métamorphoses se situait dans les années 1950, trente ans plus tard le personnage de Barbe-Bleue évolue dans les années 1980… Néanmoins, l’esthétique change peu, avec pour tout décor minimaliste le lit, immense pierre tombale, un fauteuil et une armoire.

En revanche, Dominique Pitoiset excelle dans un jeu des comédiens en adéquation avec le lent et inéluctable crescendo dramatique du livret. Là où d’autres pratiquent une agitation excessive et caricaturale, lui ordonne un conflit des passions par un mouvement mesuré et électrique d’attirance et de rejet. Forte de ses interprétations passées – Fricka (La Walkyrie) à Bordeaux, Brangäne (Tristan et Isolde) à Nancy, Erda (Siegfried) à Dortmund ou encore La Grande Vestale de Spontini à Paris (TCE) –, Aude Extrémo offre tout le caractère requis au personnage de Judith, une prise de rôle avec un timbre ample, chaleureux et d’une clarté absolue qui s’accorde au mieux avec celle, bien grave et sonore, du jeune baryton-basse Önay Köse – issu lui aussi du Komische Oper de Berlin et également une prise de rôle en Barbe-Bleue. Dès lors, pour cet ouvrage d’une durée modeste mais d’une intensité sans répit, les deux chanteurs se répondent l’un l’autre jusqu’à la chute finale : Judith ayant forcé « la citadelle intérieure de Barbe-Bleue » (Pitoiset), des mains surgissent du lit-cercueil – belle image ! – puis ce sont les épouses passées et prisonnières, « l’aube, le midi et le crépuscule », qui apparaissent, la revêtent des atours de la nuit et l’emportent.

Comme le ressac, le rythme de la partition ne cesse d’enfler et de se métamorphoser en un coloris changeant égal à la virtuosité du chant et, là encore, la cheffe et l’orchestre déploient à merveille l’arsenal fascinant de Bartók, du trémolo des cordes, des bois et du célesta aux sonorités d’airain des vents et de la percussion – et quand le grand orgue tonne à l’ouverture de la Cinquième porte, le public connaît l’effroi le plus terrible imaginé pour un ouvrage né à l’orée du XXe siècle. Tel l’enfant pelotonné au pied du lit au final des Métamorphoses, Barbe-Bleue se soumet à son propre enfermement, retournant pour une dernière image au chevet du lit. Sa tombe.

FRANCK MALLET

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