Opéras Le Carnaval de Venise à Besançon
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Le Carnaval de Venise à Besançon

08/02/2025
Anna Reinhold (Léonore) et Guilhem Worms (Rodolphe). © Martin Argyroglo

Théâtre Ledoux, 22 janvier

Après le mémorable Rinaldo de Haendel de 2018, La Co[opéra]tive revient au baroque avec Le Carnaval de Venise de Campra, sur un livret de Regnard. L’intrigue est des plus minces : à Venise, en plein carnaval, deux amies, Isabelle et Léonore, s’aperçoivent qu’elles aiment le même homme, Léandre. Elles le somment de s’expliquer et de choisir entre elles. Comme il donne sa préférence à la première, Léonore s’associe à Rodolphe – l’amant éconduit d’Isabelle – pour se venger du volage Léandre. Rodolphe croit tuer son rival et jubile, mais s’est en fait trompé de victime ! Isabelle et Léandre, finalement réunis, s’enfuient de la ville.

Une des particularités de cet opéra-ballet – genre neuf en 1699, dont Campra est le principal inventeur – est que le fil narratif est constamment interrompu par toutes sortes de divertissements (en français et en italien) qui, pour un public lassé des tragédies lyriques, constituent le vrai cœur de l’ouvrage. Pour leur première mise en scène lyrique, le couple de plasticiens Clédat-Petitpierre place judicieusement la mise en abyme théâtrale au centre d’un spectacle à l’esthétique – ils signent aussi décors et costumes – aussi forte que personnelle. Loin d’une Venise de carte postale, ils revisitent l’univers de la commedia dell’arte, en de très colorés costumes d’Arlequins et Arlequines, mais aussi à travers cinq Polichinelles ventrus et bossus qui, omniprésents, apportent un commentaire ironique à l’action, voire se muent en metteurs en scène.

On savoure maints détails, comme ce chapeau en forme de gondole porté par un batelier ou ces robes aux motifs de flammes arborées par Pluton et sa troupe infernale. Et quand des cintres tombe soudain un gland géant à franges, dans lequel un personnage va se dissimuler, c’est aussi inattendu qu’hilarant ! Moins heureux en revanche, le labyrinthe circulaire au centre du plateau, peu visible du parterre où nous étions ; mais belle trouvaille que ce ballet de ballons suspendus figurant l’agencement des planètes. 

Nos quelques réserves concernent une direction d’acteurs un peu relâchée, avec une rhétorique gestuelle pseudo-baroque assez inutile et une invention chorégraphique bien pauvrette, s’agissant d’un genre où la danse devrait être reine. C’est aussi le premier opéra pour Camille Delaforge et son jeune ensemble Il Caravaggio, même si, comme assistante ou cheffe de chant, elle a participé à de nombreuses productions. À la tête d’une vingtaine d’instrumentistes aguerris, elle montre un geste sûr, nerveux et stylé, mais pas assez grand quand la forme l’exige. 

Anna Reinhold, cofondatrice de l’ensemble, intéresse constamment en Léonore, même si quelques accrocs dans la ligne et des problèmes d’intonation font soupçonner une partie un peu tendue pour son mezzo. Victoire Bunel ne rencontre en revanche aucun problème en Isabelle, déployant des trésors de tendresse quand elle croit mort son amant (« Mes yeux, fermez-vous à jamais »). Elle forme avec le joli baryton clair de Sergio Villegas Galvain (Léandre) le plus crédible des couples. Plus de mordant chez Guilhem Worms, basse puissante qui confère beaucoup de relief à Rodolphe, mais aussi aussi à l’Ordonnateur et plus encore à Pluton. David Tricou brille dans différentes parties de haute-contre, mais c’est surtout en Orphée qu’il fait sensation au cours du divertissement infernal italien.

Les autres petits rôles sont brillamment tenus par les membres du Studio Il Caravaggio, qui assure le chœur : on remarque notamment le soprano énergique d’Apolline Raï-Westphal en Minerve, le ténor délicat de Jordan Mouaissia (en particulier dans le magique trio du sommeil « Luci belle, dormite ») et l’autorité de la basse de Mathieu Gourlet, pour un remplacement de dernière minute dans l’allégorie du Carnaval. Un spectacle réjouissant qui, pour sa création devant une salle comble et très diverse (nombre de jeunes, lycéens et étudiants), a remporté un triomphe. Il tournera les prochains mois dans les différents théâtres partenaires.

THIERRY GUYENNE

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